Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après lui, toute l’école hollandaise depuis le commencement du XVIIe siècle jusqu’en plein XVIIIe la belle et féconde école des demi-teintes et des lumières étroites, ne se meut que dans cet élément commun à tous et n’offre un ensemble si riche et si divers que parce que, ce mode admis, elle a su le varier par les plus fines métamorphoses.

Tout autre que Rembrandt, dans l’école hollandaise, pourrait quelquefois faire oublier qu’il obéit aux lois fixes du clair-obscur, avec lui le même oubli n’est pas possible : il en a rédigé, coordonné, promulgué pour ainsi dire le code, et, si l’on pouvait croire à des doctrines à ce moment de sa carrière, où l’instinct le fait agir beaucoup plus que la réflexion, la Ronde de nuit doublerait encore d’intérêt, car elle prendrait le caractère et l’autorité d’un manifeste.

Tout envelopper, tout immerger dans un bain d’ombre, y plonger la lumière elle-même, sauf à l’en extraire après pour la faire paraître plus lointaine, plus rayonnante, faire tourner les ondes obscures autour des centres éclairés, les nuancer, les creuser, les épaissir, rendre néanmoins l’obscurité transparente, la demi-obscurité facile à percer, donner enfin même aux couleurs les plus fortes une sorte de perméabilité qui les empêche d’être le noir, — telle est la condition première, et telles sont aussi les difficultés de cet art très spécial. Il va sans dire que, si quelqu’un y excella, ce fut Rembrandt. Il n’inventa pas, il perfectionna tout, et la méthode dont il se servit plus souvent et mieux que personne porte son nom.

Les conséquences de cette manière de voir, de sentir et de rendre les choses de la vie réelle, on les devine. La vie n’a plus la même apparence. Les bords s’atténuent ou s’effacent, les couleurs se volatilisent. Le modelé, qui n’est plus emprisonné par un contour rigide, devient plus incertain dans son trait, plus ondoyant dans ses surfaces, et quand il est traité par une main savante et émue, il est le plus vivant et le plus réel de tous, parce qu’il contient mille artifices grâce auxquels il vit, pour ainsi dire, d’une vie double, celle qu’il tient de la nature et celle qui lui vient d’une émotion communiquée. En résumé, il y a une manière de creuser la toile, d’éloigner, de rapprocher, de dissimuler, de mettre en évidence et de noyer la vérité dans l’imaginaire, qui est l’art, et nominativement l’art du clair-obscur.

De ce qu’une pareille méthode autorise à beaucoup de licences, s’ensuit-il qu’elle les permette toutes? Ni une certaine exactitude relative, ni la vérité de la forme, ni sa beauté quand on y vise, ni la permanence de la couleur, ne sauraient souffrir de ce que beaucoup