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qu’il avait contre lui d’avoir suivi le parti du prince de Condé pendant les guerres civiles de la fronde; or la fronde était maintenant finie, le roi avait triomphé de ses ennemis, et ce rôle ancien du prévenu était une raison de plus d’être scrupuleusement équitable, afin que la sentence ne portât pas figure de vengeance; mais quoi! il fallait faire un exemple, et aucune de ces circonstances atténuantes ne put prévaloir sur les calculs d’une sévérité préméditée et convenue d’avance. Arriver le premier est en toute chose un grand bonheur ou un grand malheur, et, si l’on y regarde de près, on voit que ce qui perdit le vicomte de La Mothe-Canillac, c’est que les grands jours s’ouvrirent par son procès. Aurait-il été condamné aussi sévèrement trois semaines après? Assurément non. Plaisante justice qu’une rivière borne! avait dit Pascal presqu’à cette même époque; plaisante justice dont un délai de trois semaines augmente ou diminue la sévérité ou la clémence, disons-nous à notre tour en lisant dans Fléchier ce triste arrêt, si bien fait pour rappeler notre pauvre nature humaine à la modestie qui lui sied toujours.

Le livre de Fléchier sur les grands jours d’Auvergne est l’un des plus agréables que nous ait laissés notre littérature du XVIIe siècle, et cependant s’il était jugé selon les exigences de la critique moderne, il n’échapperait pas à une certaine sévérité. Cette épithète d’agréable que nous venons d’employer, ne dit-elle pas, toute louangeuse qu’elle est, la nature du blâme qui ne manquerait pas de lui être adressé, s’il paraissait aujourd’hui, car n’est-il pas étrange que des actions dont le récit demanderait tantôt les fortes ombres de Rembrandt, tantôt même la nuit épaisse du Caravage, soient invariablement peintes avec les tendres couleurs de l’aquarelle et du pastel? Le style du livre n’est donc pas en rapport avec le sujet : c’est que le pittoresque en littérature n’était pas encore venu au monde, et que tous ces artifices d’un style à la Rembrandt étaient parfaitement inconnus. Pour manquer d’accord avec son sujet, ce n’en est pas moins un style d’un modèle achevé et qui possède ses mérites très particuliers. D’une nudité absolue, presque sans images, il est cependant d’un agrément extrême, que l’on ne songe à chercher d’ordinaire que dans les styles très ornés. C’est une belle prose, nette, limpide, correcte, qui porte bien la double date et de l’âge de l’auteur, et de l’époque où le livre fut composé. Tout y est d’une pureté, d’une aisance, d’une modernité accomplies; rien de gauche ni d’embarrassé, rien surtout d’archaïque et de suranné, nuls restes des tournures des styles précédens, nulle phrase à nœuds compliqués, nulle période à replis traînans. Ce livre est celui d’un homme jeune qui n’a aucune des façons de s’exprimer d’un plus vieux temps, parce qu’il a eu l’heureuse