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majestueuse de Saint-Julien de Brioude, ni la pittoresque situation de l’église de Saint-Nectaire. Étouffée entre les pâtés de maisons dans lesquels elle est engagée, et qui interdisent le recul aux curieux, défigurée à l’intérieur par un badigeon jaunâtre du plus maussade effet, Notre-Dame-du-Port se présente mal, et n’a pour se faire valoir aucun des avantages de ses rivales ; cependant elle a sur elles toute une supériorité incontestable, c’est qu’elle a été leur prototype et leur modèle. Elle en a une seconde plus considérable encore, c’est la grandeur des souvenirs. À cet égard, Notre-Dame-du-Port peut défier toutes les églises de la chrétienté, car c’est l’église de la première croisade, l’église où Adhémar de Monteil est venu s’agenouiller après avoir pris la croix, où les chevaliers sont venus prier et demander le corps du Christ pour consacrer leur vœu. La vaste place inclinée qui s’étend tout auprès, c’est la place où le pape Urbain II fit cette fameuse prédication à laquelle tous les assistans répondirent par le cri de Dieu le veut[1] ! Un autre souvenir de taille bien plus petite, mais très particulièrement intéressant pour nous et peut-être aussi pour quelques-uns des lecteurs qui nous ont suivi dans ces excursions, se rapporte encore à cette église. Comme la plupart des églises d’Auvergne, Notre-Dame-du-Port a été fortifiée au moyen âge : or elle a eu à soutenir un siège quelques années précisément après la croisade, par suite de démêlés qui s’élevèrent entre l’évêque de Clermont et le comte d’Auvergne d’alors, et qui nécessitèrent une expédition du roi Louis le Gros, expédition où nous avons vu le roi accompagné d’un personnage du nom de Wulphe, lequel au retour s’arrêta en route et se fixa dans le Forez, à la frontière même des lieux où il était venu guerroyer. C’est le premier des d’Urfé par date certaine, et Notre-Dame-du-Port a été selon toute apparence le témoin de ses faits d’armes.

Notre-Dame-du-Port, de dimensions fort resserrées, se développe pour ainsi dire toute en longueur ; elle y gagne en élégance ce qu’elle y perd en majesté. La nef principale, belle et étroite avenue formée par des colonnes d’une élévation remarquable, aboutit harmonieusement à un chœur étroit aussi et allongé en ovale, dont l’effet est des plus gracieux et le dessin des plus purs. Comme dans la plupart des églises romanes, le chœur, exhaussé de plusieurs marches au-dessus du pavé de la nef, surmonte une église souterraine,

  1. Voulez-vous savoir à quel point la médiocrité de date récente ronge la grandeur plus ancienne, cette place peut vous en offrir un bel exemple. Il semblerait naturel et logique qu’elle s’appelât place de la Croisade, elle s’appelle place Delille par un choix inconcevable de l’édilité clermontoise, qui a préféré au plus grand souvenir du moyen âge le nom d’un rimeur de talent, sans doute parce qu’il est plus rapproché de nous.