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de Beauvais, car elles suffisent pour donner l’impression d’une nef entière, ce qu’on ne pourrait dire de sa rivale dont la nef commencée a été interrompue si bizarrement que les tronçons qui en ont été construits la font ressembler à un invalide dont les jambes auraient été amputées au-dessus du genou. Même date, même histoire, même destinée. Commencée au milieu du XIIIe siècle, faiblement continuée au milieu des préoccupations cruelles du XIVe, elle fut ensuite complètement abandonnée lorsque l’âge du gothique fut passé, et ce n’est qu’aujourd’hui même qu’on s’est occupé d’en achever quelques-unes des parties. Enfin, pour compléter l’illusion d’une église du nord, de beaux vitraux du XIIIe siècle, touffus de sujets que la lumière fait apparaître ou disparaître, selon qu’elle les frappe ou s’en éloigne, éclaire la cathédrale de ce crépuscule aux couleurs si variées et si passagères qu’un observateur ingénieux pourrait en composer une sorte d’horloge en notant l’heure précise où chacune des nuances prédomine. Les verrières des fenêtres de la nef sont moins belles que celles du chœur, étant, comme toutes celles qui sont postérieures au XIIIe siècle, moins avares de lumière; cependant la rosace du portail méridional compose bien le plus admirable châle de l’Inde que femme puisse rêver : c’est la même harmonie obtenue par des nuances sans éclat, noir, brun-clair, jaune-foncé, c’est le même dessin de figures qui semblent empruntées aux images du kaléidoscope, et d’arabesques qui semblent reproduire les caractères en paraphes des écritures orientales.

Certaines curiosités sont à remarquer dans la cathédrale de Clermont; de ce nombre sont quelques restes de peintures du XIIIe siècle encore assez bien conservées sur une partie du mur du chevet. Autant que nous avons pu le reconnaître, elles représentaient les scènes du jugement dernier, transformées en scènes de la justice féodale par les artistes de cette époque, fait qui n’a rien de bien extraordinaire, puisque la justice féodale était celle dont ils avaient le spectacle quotidien, mais qui a précisément aujourd’hui le mérite de nous montrer ce spectacle. Ces vieux artistes copiaient la réalité afin de se faire plus clairement comprendre de leurs naïfs contemporains, et cette réalité parle maintenant à notre imagination à l’égal d’une vision de poète. C’est, ou plutôt c’était le même travestissement dont on peut voir les dernières traces sur les murailles de plus d’une église, par exemple dans ce qui reste de l’église de Saint-Mexme, à Chinon, en Touraine, ou dans la chapelle de Saint-Michel à Brioude, les anges transformés en hommes d’armes, précipitant les damnés ou les démons à grands coups des croix d’archevêque dont ils sont munis, ou saint Michel transformé en huissier de la salle d’audience de Dieu, posté contre une des barrières pour