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du futur Boniface VIII et fut amené ainsi à faire cette abdication du siège pontifical que Dante dans son indignation a flagellée du nom du grand refus. Il est dès lors très probable qu’il fut un de ces cardinaux français dont l’introduction en masse dans le sacré-collège sous l’influence de la politique de Charles de Valois, le frère de saint Louis et le conquérant de la Sicile, rendit facile quelques années plus tard la translation du saint-siège à Avignon. Nous sommes donc ici en présence d’un des ouvriers plus ou moins consciens de l’œuvre prochaine de Philippe le Bel, et la faveur dont le cardinal de Billom semble avoir joui sous Célestin V ne fait que confirmer cette probabilité. Il était tout à fait dans le courant de l’époque, comme on dirait aujourd’hui, car je vois que parmi les écrits théologiques qu’il a laissés se trouve un traité mystique sur la Vision béatifique, c’est-à-dire sur la nature particulière de la vision que possèdent de Dieu à cette heure les âmes bienheureuses, en attendant celle qu’elles en auront après le jugement dernier. Cette question subtile était en effet sous le vent à cette époque; quelque trente ans plus tard, ce fut une de celles que notre pape français d’Euse de Cahors (Jean XXII), à l’esprit tout occupé de doctrines mystiques, aima le plus à approfondir en compagnie de ses franciscains. Le cardinal couché en face de Hugues de Billom, Nicolas d’Arfeuille, appartint à une famille dont il faut chercher le berceau près de la petite ville de Felletin dans la province voisine de la Marche. Ces d’Arfeuille, dont le nom de famille était Morin, durent principalement leur fortune à l’un de leurs membres qui, à la terrible bataille de Mons-en-Puelle en 1304, rendit au roi Philippe le Bel le service de lui sauver la vie, en reconnaissance de quoi le roi lui permit d’ajouter une fleur de lys à ses armes. A partir de ce moment, on les voit très puissans pendant les siècles qui suivent, notamment dans l’église transportée à Avignon, où les cardinaux du nom d’Arfeuille se succédèrent, l’un sous Clément VI (Pierre Rogier), dont ils étaient parens, un autre sous l’anti-pape Pierre de Lune, enfin celui dont nous voyons le tombeau dans cette chapelle des Jacobins de Clermont sous l’antipape Clément VII. Ce fut donc en toute certitude un des membres de ce parti puissant des cardinaux limousins qui, lorsque le saint-siège eut été rétabli à Rome, firent tous leurs efforts pour le ramener à Avignon et lancèrent le schisme dans le monde. Ce n’est rien moins que le grand souvenir de la papauté d’Avignon, de l’église confisquée par Philippe le Bel au profit de l’influence française, qui s’abrite sous ces niches. Si ceux qui dormirent à leur ombre pouvaient se réveiller de leur sommeil éternel, ils seraient, eux, en mesure de nous apprendre avec l’information la plus minutieuse