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Un portrait du vertueux rhéteur Thomas, donnant à première vue sous la feuille de verre qui le protège une impression de pastel, est à noter : visage rond, nez petit et en forme de boule, type auvergnat extrêmement marqué, bien poudré, bien coiffé, de tenue soignée comme son style, l’air souriant et ouvert, très jeune encore de visage, c’est une honnête figure sympathique et presque jolie à force de candeur. En parlant de Riom, j’ai déjà signalé le portrait de Dulaure vieux et son médaillon par David d’Angers ; le musée de Clermont possède un second médaillon de ce grand sculpteur, celui d’un personnage bien différent du jacobin Dulaure, l’abbé de Pradt, archevêque de Malines, si connu par son rôle de publiciste sous l’empire et la restauration, figure intelligente et décidée, physionomie sérieuse avec quelque chose d’affairé, un homme distingué avec une pointe légère de présomption. Jacques Delille est là aussi, autre type très prononcé d’Auvergnat, avec ses gros yeux étonnés qui le font ressembler à une grenouille amatrice des beautés de la nature, et les chantant sans fin ni trêve des bords de son bassin ou de son ruisseau natal. Le ruisseau natal de Delille ! Cela est mieux qu’une plaisanterie, car, pendant que j’étais à Clermont, on m’a proposé de me mener voir la prairie où ce chantre de la nature fut conçu des libres embrassemens d’une demoiselle de qualité et d’un jeune homme de condition qui, pensant sans doute par anticipation avec Alfred de Musset que la nature est le plus puissant des aphrodisiaques, jugèrent agréable de renouveler sous une forme assortie au caractère du XVIIIe siècle l’Oaristys de Théocrite. Cette prairie se trouve près de Pontgibaud, mais comme le voyage ne laissait pas d’être long et fatigant, je l’ai laissé à exécuter aux touristes futurs. N’est-ce pas cependant qu’on ne pourrait rien rêver de mieux que cette prairie pour la procréation du chantre descriptif des Jardins et des Trois règnes de la nature ? Le hasard a souvent de singulières harmonies, et celle-là en est une à justifier les fameuses théories de Michelet sur la génération.

La bibliothèque renferme aussi plusieurs curiosités, une bible manuscrite ayant appartenu au cardinal de Billom, quelques éditions rares, mais les plus précieux de ses trésors sont deux pièces manuscrites, l’une de Marguerite de Valois, première femme d’Henri IV, l’autre une lettre de Massillon pour porter remède à certains désordres ecclésiastiques de son diocèse. M. Édouard Vimont, conservateur de la bibliothèque de Clermont, qui pendant toute notre excursion a mis à nous être utile un empressement dont nous ne saurions assez lui marquer notre reconnaissance, a bien voulu les faire copier pour nous[1]. Réservons pour un futur chapitre la lettre

  1. M. Vimont est auteur d’un guide en Auvergne dont feront bien de se munir tous les touristes qu’attire particulièrement l’étude de la géologie. Ils y trouveront une nomenclature précise et bien ordonnée et une description intéressante des puys qui forment la chaîne des monts Dôme. Quant à ceux qu’attireraient avant tout les recherches de l’érudition, nous nous faisons un devoir de leur signaler parmi les travaux récens la volumineuse Histoire de Clermont de M. Ambroise Tardieu ; ils la trouveront pleine de détails minutieux dont nous regrettons que le plan poursuivi par nous ne nous ait pas permis de faire usage.