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I.

La route la plus rapide est par Agram et Sissek, où un service de bateaux à vapeur sur la Kulpa mène à la Save, qui sépare la Bosnie et la Servie du territoire des confins.

Agram est un point d’un haut intérêt, mais, si on y arrive en voyageur pressé, sans être renseigné sur le rôle que joue la ville dans le monde yougo-slave, et sur l’importance politique qu’elle a pour les Autrichiens, on court risque de passer sans s’arrêter, car l’aspect extérieur ne sollicite pas vivement l’attention du voyageur, tout en dénonçant cependant un centre considérable qui a profité des bienfaits de la civilisation. Dans le plan de la ville, tout est énorme de proportion ; on dirait que la place n’a pas été mesurée, et que chacun a pu s’étendre à son gré. Les rues sont d’une largeur exceptionnelle, mais presque toutes les maisons n’ont qu’un étage. Le mouvement n’est pas considérable au premier abord, et la foule ne se distingue pas sensiblement de celle d’une ville du centre de l’Allemagne. La plupart des rues aboutissent à un point central : la place Jellachich, immense, entourée de constructions mesquines et très basses occupées par des magasins et des cafés, au milieu de laquelle, sur un haut piédestal et dans une pose héroïque, se dresse la statue équestre du fameux ban de Croatie qui conduisit les Croates au secours de l’Autriche menacée par les Hongrois. Dès que la nuit vient, les rues sont désertes, et les nombreux cafés, brasseries et endroits publics sont clos avec tant de soin qu’il est impossible de jeter les yeux dans l’intérieur. C’est une particularité qui frappe le voyageur depuis la Croatie jusqu’en Bulgarie : à Belgrade, par exemple, les rideaux de percale imprimée sont si scrupuleusement clos et adhérens aux fenêtres des débits de boisson et des auberges, que l’étranger se demande s’il y a là l’observation d’un règlement de police ou simplement l’expression d’un usage fidèlement suivi.

La ville d’Agram est d’une propreté admirable; on sent qu’une administration vigilante a pris en main la direction des affaires de la commune. Des agens de police bien disciplinés, d’un aspect militaire, se promènent deux à deux dans les rues bien éclairées au gaz; tout ce qui concerne l’édilité et le service public n’y laisse rien à désirer. Il y a de la tenue dans tout; il se dégage même de ce qu’on voit une impression qui éveille l’idée d’une ville sérieuse, morale, un peu puritaine. Les titres des ouvrages aux devantures des libraires, les affiches de théâtre, l’absence de lieux de plaisir et de distraction, les divertissemens paisibles des habitans, tout