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danseuse, et décoré au pourtour d’une jolie grecque de couleur cerise brodée sur l’étoile. Une pelisse de la même forme que celle de nos officiers d’état-major, rehaussée d’ornemens de cuir piqué de toute couleur sur un fond chamois, garnie d’astrakan au col et aux manches, dissimulait la taille ; la tête était coiffée d’un fichu orange marbré de taches rouges, et deux longues nattes de cheveux, reliées l’une à l’autre par de larges rubans verts et carmin, retombaient dans le dos. Elle restait là debout, immobile, son panier de raisins à ses pieds, dans ce vêtement singulier qui faisait douter et de son sexe et de son âge, avec cet air d’embarras habituel aux femmes qui revêtent un costume masculin. A côté d’elle, une autre toute blanche et coiffée d’une sorte de pagne brodé d’une frise rouge étalait sur sa poitrine de grands colliers de corail tombant du cou jusqu’à la taille et fermés par un miroir rond qui scintillait au soleil. La première était de Turopoglie, la seconde de Cestina ; à quelques pas d’elles se tenaient, groupées par village, les paysannes de Stenivetz, disparaissant sous une sorte de mac-farlane à manches, en feutre gris, à la pèlerine brodée de grandes fleurs de lotus rouge, vert et jaune, brusquement coupée au bas du dos par une bordure noire veloutée de la largeur de la main. La tête enveloppée d’un fichu noir en cretonne constellée d’étoiles blanches, et le singulier manteau que j’ai décrit, contrastant avec les colorations claires des vêtemens des villageoises, éveillaient l’idée de grands papillons nocturnes au milieu de fleurs vivantes. Ces paysannes slaves supportent difficilement qu’on les observe avec curiosité et, comme j’ouvrais mon album, l’une d’elles s’enfuit éperdue et répandit, sur un autre point de la place, le bruit que j’étais envoyé par les Turcs pour lancer des sortilèges : un Croate peu endurant vint même murmurer à mes oreilles des menaces dont un habitant de la ville me demanda poliment pardon en mettant cette colère sur le compte de l’ignorance et de la superstition. Un coin de la place qui offre encore un certain intérêt est celui où, dressant chaque matin leurs petits états ambulans, les paysans des environs viennent débiter de la viande sous de petits auvens portatifs qui rappellent à s’y méprendre ceux des bazars maures.

Les monumens sont rares à Agram, mais de la place même on voit se profiler sur le ciel le clocher de la cathédrale, enfermée dans une enceinte fortifiée, où le palais archiépiscopal, l’église, le chapitre et de nombreuses dépendances étaient à l’abri des attaques des Turcs. C’est de la place du Chapitre qu’il faut juger l’effet de cet édifice : il n’est pas digne de l’attention du voyageur au point de vue de la richesse, de l’élégance et de la délicatesse des