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dans chacun des trois grands cafés de la place Jellachich on peut consulter soixante périodiques en toutes langues qu’on y reçoit régulièrement. Après l’inauguration de l’académie yougo-slave, en 1867, celle de l’université (dont on a retardé si longtemps la fondation, qui n’a eu lieu qu’en 1874) constitue encore une force nouvelle et le plus efficace moyen d’action, puisque désormais la jeunesse pourra trouver dans le pays même une instruction conforme à l’esprit de la nationalité.

La société dite l’Omladina, fondée dans le dessein de publier et de répandre les ouvrages élémentaires destinés à éclairer le peuple serbe, est aujourd’hui détournée de son but; elle menace même de verser dans des théories sociales tout à fait vagues et nébuleuses. Elle siégeait d’abord à Neustadt; aujourd’hui ses véritables chefs sont à Agram, à Prague et à Belgrade; peu à peu on a fait converger une partie de ses forces vives vers la grande idée qui se retrouve au fond de tous les mouvemens qui ont lieu dans les provinces slaves de la Turquie d’Europe : l’union de tous les Yougo-Slaves sous un sceptre commun. C’est comme un vaste carbonarisme qui unit tous les patriotes serbes; ils ont fait alliance à l’abri de ces idées de propagande en faveur de l’instruction élémentaire, et on peut dire qu’il n’y a pas une ville importante, depuis Prague jusqu’au Danube, qui n’ait sa vente où l’on reçoit le mot d’ordre parti d’Agram. Il n’y a plus, selon les propres paroles du président de l’académie de la ville, « ni fleuve ni montagne entre le Serbe, le Croate, le Slovène et le Bulgare. Ils ont fondé une littérature une et identique sur la base de la langue qui, des bords de l’Adriatique aux bouches du Danube, résonne sur les lèvres de plusieurs millions d’hommes. Le principal théâtre de cette lutte morale a été, est encore le royaume tri-unitaire et la principauté de Servie, ces deux pôles autour desquels gravitent le passé, le présent et l’avenir des Slaves du sud... » On voit que, si le voyageur trouve quelque plaisir à s’arrêter devant les types des paysans d’Agram, et si leurs mœurs sont dignes d’intérêt, un attrait d’une autre nature pourrait le retenir longtemps dans la capitale de la Croatie; mais laissons à d’autres ce sujet d’étude.

En une heure et demie, on va d’Agram à Sissek par la voie ferrée; la ville forme tête de ligne des chemins de fer croates; elle est bâtie à l’embouchure de la Kulpa, large fleuve qui rejoint la Save à une lieue de là, formant la frontière de la Croatie et des confins militaires. Il y a quelques années à peine, il y avait deux villes, Militar-Sissek, Civil-Sissek; depuis 1873, tout le territoire est civil, il occupe un espace considérable sur chacune des rives de la Kulpa; un pont de bois d’une dimension énorme, d’une forme singulière