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est si bas que le pope doit courber la tête sous peine de frôler les chevrons, sert de casino aux officiers de la garnison de Podové, qui viennent là régulièrement consommer la bière de Gratz, serrés les uns contre les autres. Depuis les rives du Danube jusqu’à l’Adriatique, de Semlin au Quarnero et de Zara jusqu’à Cattaro, j’ai été frappé de voir avec quelle peine l’officier autrichien se résigne à vivre au milieu des populations slaves, et combien peu il leur enseigne, par l’exemple, à s’ingénier pour se procurer un bien-être relatif. C’est une des conditions particulières de l’empire que cette agglomération de races et de nationalités diverses qui composent sa population; on ne sent pas le lien qui les unit. Dans tel ou tel point de ce vaste état, le soldat se considère comme un étranger que le hasard ou le caprice d’un chef suprême a mis en garnison dans une terre hospitalière. A Knin, à mille pieds au-dessus du sol, ou à Cattaro, aux premiers sommets de la Montagne-Noire, appuyés aux bastions des anciennes forteresses turques ou vénitiennes, au milieu de populations naïves, ignorantes et superstitieuses, qui n’entendent point leur langue et ne professent pas la même religion qu’eux, les officiers, toujours doux, toujours bienveillans et fidèles à leurs devoirs de soldats, m’ont cependant paru accepter difficilement ce qu’ils considéraient comme un exil dont ils escomptaient la fin. « Que fais-je ici, chez les Turcs? » me demandait à Rostaïnicza un jeune sergent d’infanterie né à Proelucca sur la côte du golfe de Quarnero. A la pointe de Korlat, séparé de la Bosnie par un cours d’eau que pas une barque ne sillonne, n’ayant pour tout spectacle que la ville de Novi, silencieuse à l’horizon, pour tous cliens que les rudes Croates des confins qui viennent porter leur blé à moudre, le finanzrath solitaire songeait aux rians paysages de la Styrie, aux douceurs de son foyer, et, ne pouvant se faire comprendre dans son langage, mettait la main sur son cœur en me montrant l’horizon et en murmurant « Laybach ! Laybach ! »

J’ai fait deux excursions autour de Podové, la première à 3 kilomètres de la ville sur la hauteur où Laudon avait établi ses batteries pour assiéger la ville de Novi. Les embrasures et les mouvemens de terre existent encore, recouverts seulement d’herbe et cachés en quelques endroits par les arbrisseaux et les parasites. Le monticule domine le cours de la Unna, et le panorama est magnifique.; on se rend un compte exact de la position de Novi, assise au confluent des deux bras et réunie à l’autre rive, où s’élève l’embarcadère, par un pont fortifié. De là l’œil découvre plusieurs lieues de territoire, les coteaux boisés de la Bosnie et les vastes plaines qui s’étendent entre la Servie et la Croatie turque : admirable pays d’une fertilité sans rivale, arrosé par de grands cours d’eau, richement