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souille dès qu’on les touche, qu’est-ce que cela pouvait être ? Le prédicateur disait ces mots le front plissé, le regard au ciel. Ce qui mettait le comble à mes préoccupations était un endroit de la vie de je ne sais quel saint personnage du XVIIe siècle, lequel comparait les femmes à des armes à feu qui blessent de loin. Pour le coup, je n’en revenais pas ; je faisais les plus folles hypothèses pour imaginer comment une femme peut ressembler à un pistolet. Quoi de plus incohérent ? La femme blesse de loin, et voilà que d’autres fois on est perdu pour la toucher. C’était à n’y rien comprendre. Pour sortir de ces embarras insolubles, je m’enfonçais dans l’étude avec rage, et je n’y pensais plus.

Dans la bouche de personnes en qui j’avais une confiance absolue, ces saintes inepties prenaient une autorité qui me saisissait jusqu’au fond de mon être. Maintenant, avec ma pauvre âme déveloutée de cinquante ans, cette impression dure encore. La comparaison des armes à feu surtout me rendait extrêmement réservé. Il m’a fallu des années et presque les approches de la vieillesse pour voir que cela aussi est vanité, et que l’Ecclésiaste seul fut un sage quand il dit : « Va donc, mange ton pain en joie avec la femme que tu as une fois aimée. » Mes idées à cet égard survécurent à mes croyances religieuses, et c’est ce qui me préserva de la choquante inconvenance qu’il y aurait eue, si les gens du monde avaient pu prétendre que j’avais quitté l’état ecclésiastique par d’autres raisons que celles tirées de l’hébreu et de la philologie. L’éternel lieu commun : « où est la femme ? » par lequel les laïques croient expliquer tous les cas de ce genre, est quelque chose de fade qui porte à sourire ceux qui connaissent les choses comme elles sont.

Mon enfance s’écoulait dans cette grande école de foi et de respect. La liberté où tant d’étourdis se trouvent portés du premier bond fut pour moi une acquisition lente. Je n’arrivai au point d’émancipation que le gamin de Paris atteint sans aucun effort de réflexion, qu’après avoir traversé Gesenius et toute l’exégèse allemande. Il me fallut dix années de méditation et de travail forcené pour voir que mes maîtres n’étaient pas infaillibles. Le plus grand chagrin de ma vie a été en entrant dans cette nouvelle voie de contrister ces maîtres vénérés ; mais j’ai la certitude absolue que j’ai eu raison, et que la peine qu’ils éprouvèrent fut la conséquence de ce qu’il y avait de respectablement borné dans leur manière d’envisager l’univers.


II.

L’éducation que ces bons prêtres me donnaient était aussi peu littéraire que possible. Nous faisions beaucoup de vers latins ; mais