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théories philosophiques de Confucius et de Lao-tseu s’étaient fait leur place. Or il n’entre pas dans le génie oriental de proscrire les religions par la persécution : si le christianisme a été banni et persécuté, c’est moins comme hérésie que comme danger politique; en général, l’esprit de prosélytisme ne va pas jusqu’à l’intolérance, et la religion dominante en supporte une autre à côté d’elle, sans chercher par des efforts violens à la réduire au néant. De là vient que les différentes croyances ont vécu côte à côte pendant douze siècles, se rapprochant insensiblement les unes des autres, s’empruntant réciproquement des symboles, des pratiques, se confondant presque dans un alliage où domine manifestement le scepticisme. Séparer ces élémens confondus, indiquer l’origine de chacune des religions, ses dogmes, sa valeur propre, son effet spécial sur les progrès de la nation et ses résultats historiques, puis étudier dans la période actuelle la religion, ou, pour mieux dire, l’état des esprits au point de vue religieux résultant de cette coexistence séculaire, — exposer enfin quelles conclusions cet examen provoque sur les qualités natives ou acquises de la race japonaise, sur son aptitude pour la civilisation occidentale; tel serait le programme d’une étude qui, pour être complète, demanderait de longs développemens et dont nous nous bornerons à toucher les principaux points.


I.

Le bouddhisme, en s’introduisant au Japon, a si bien mêlé ses dogmes et ses pratiques avec le culte national, qu’il n’est pas facile de restituer dans toute sa pureté, disons même dans sa nudité, la croyance originaire. Le petit nombre de sectateurs qui demeurent encore nominalement fidèles à la religion primitive n’en ont conservé la tradition que surchargée d’élémens étrangers qui la défigurent; inutile donc de les interroger, leur ignorance complète les réduit sur ce chapitre à un silence qu’on leur a fait souvent et bien mal à propos l’honneur de prendre pour une dissimulation insurmontable. Il n’est secret si bien gardé que celui qu’on ignore, et celui-là échapperait à toutes les investigations si deux sinologues éminens, MM. Satoow et Kempermann, n’avaient pris la peine de dépouiller, pour leur arracher le mot de l’énigme, les volumineux commentaires laissés sur la religion par les érudits indigènes[1]. Si l’on veut au surplus juger de l’incertitude qu’offrent non-seulement les débuts religieux, mais encore les commencemens historiques du Japon, il suffit de se rappeler comment ces traditions sont

  1. Mittheilungen der Deutschen Gesellschaft für Natur-und Völkerkunde Ostasiens, 1814. — Asiatic Society transactions, 1874. — Voyez aussi Fu su mimi bukuro, a budget of japanese notes, Yokohama 1875.