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qui nous tourmentent, de cette curiosité inquiète de l’au-delà qui nous travaille sans cesse, — il examine froidement des croyances que le génie d’un Pascal subit plutôt que de tomber dans le vide, et les déclare imperturbablement des contes de nourrice. Enfin cette morale, que nous proclamons si pure et que nous croyons volontiers universelle, excite une profonde et sincère répugnance. On lui reproche de conduire au déchirement de la famille, à la destruction de l’état. Ce qu’elle a de plus beau, le souffle de charité qui l’anime, la compassion pour le malheureux, pour le faible, pour le pécheur repentant, toute cette tendresse débordante de l’Évangile qui a transformé le monde européen, tout cela s’émousse comme un trait sans force sur l’acier d’une cuirasse et glisse inutilement sur des cœurs insensibilisés par dix siècles de bouddhisme.


V.

Après avoir passé en revue les croyances qui se sont, à des degrés divers et à des époques différentes, répandues au Japon, il reste à exposer l’état religieux qui résulte de leurs vicissitudes, les caractères qu’elles ont imprimés à la race, la valeur morale qu’elles lui assignent dans le présent et le rang qu’elles lui promettent dans l’avenir. On a pu voir qu’à l’exception du christianisme tous les cultes ont joui jusqu’à présent d’une tolérance universelle. Le christianisme lui-même, après avoir été longtemps persécuté, n’est plus aujourd’hui proscrit. Si la propagande est interdite, la conversion, quoique mal vue, n’entraîne aucune peine. L’exercice public du culte n’étant permis qu’aux étrangers et dans les limites de leurs concessions, on ne peut le compter parmi les religions établies. Le pur shinto ne conserve que quelques rares sectateurs dans des provinces reculées ; ceux de la secte dite riobu shinto, plus nombreux, sont tout pénétrés des doctrines bouddhistes; le confucianisme ne sort pas des écoles; en réalité, la religion dominante au Japon est sans contestation le bouddhisme. Cependant il n’y a pas, à proprement parler, de religion d’état. Suivant les variations de la politique, un culte peut être plus favorisé que l’autre; aucun n’est l’objet d’une protection exclusive ; tous sont soumis à la surveillance officielle d’un département ministériel, le kio busho, qui pourvoit aux vacances et répartit le budget. Les églises sont en tutelle et dans une dépendance absolue du gouvernement, qui leur demande avant tout la soumission et le silence. Le clergé, sans rôle public, sans voix dans les conseils, n’a aucune influence sociale, et quelques hautes fonctions du sacerdoce, confiées par la coutume à certains princes du sang, ne leur sont conférées que pour les neutraliser.