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même de ses adversaires ou de l’imprévu, cachant la profondeur des calculs sous l’humeur facile, sachant préparer et dominer les événemens par la puissance d’une raison clairvoyante et sûre, par une audace inventive dans l’exécution de desseins toujours nouveaux et toujours agrandis.


I

Un jour, vers l’automne de 1850, à la veille d’entrer pour la première fois au pouvoir comme simple ministre du commerce, Cavour visitait les provinces du Piémont et il s’arrêtait à Stresa, aux bords du Lac-Majeur, dans la maison du philosophe Rosmini, où il se rencontrait avec Manzoni. Ces esprits supérieurs s’entretenaient des destinées de l’Italie, regardant fixement du haut de la villa Bolongaro la rive opposée, qui restait pour le moment, qui semblait devoir rester pour longtemps autrichienne. Manzoni, dans l’ingénuité de son âme, ne cessait d’espérer ; Rosmini souriait tristement des illusions du poète. Cavour se frottait les mains, — c’était déjà un de ses gestes familiers, — et il répétait avec une vivacité persuasive : « Nous ferons quelque chose. »

Celui qui disposait ainsi sans façon de l’avenir était un homme jeune encore, impatient de vivre, qui venait de faire ses premières armes dans la mêlée des révolutions de 1848 et qui portait dans le tourbillon public un esprit net, une volonté résolue, une des natures les plus libres, les mieux trempées pour l’action. Ce n’était pas un révolutionnaire songeant à renouer des conjurations lorsqu’il parlait de « faire quelque chose ; » c’était au contraire l’homme le plus essentiellement politique, ayant à la fois la solidité de la vieille race piémontaise, sans en avoir les préjugés, et la sève patriotique, libérale, des générations nouvelles sans en avoir les passions chimériques, surtout sans avoir été jamais un conspirateur. Sa fortune a été de venir à propos et de se trouver préparé à tout par sa naissance, par son éducation comme par son tempérament. Il était né à Turin, le 1er août 1810, dans une de ces heures où certes nul n’aurait dit ni pensé que celui qui venait de naître devait un jour faire revivre, au profit de princes alors découronnés et bannis, ce nom de royaume d’Italie dont la fantaisie d’un glorieux despote couvrait une fiction de nationalité. C’était le second fils du marquis Michel Benso de Cavour, le dernier venu d’une des plus anciennes maisons piémontaises sortie de cette petite république de Chieri, appelée la république des sept B, parce que là ont vécu autrefois sept familles qui ont fait leur chemin dans le monde : les Benso, les Balbo, les Balbiani, les Biscaretti, les Buschetti, les Bertone, — et les Broglie,