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grand cas, dit Brantôme en parlant de Coligny, qu’un simple seigneur et non point souverain, mais pourtant d’un très haut et ancien lignage, ayt fait trembler tout la chrestienté et remplir de son nom et de sa renommée, tellement qu’alors de l’admirai de France en estait-il plus parlé que du roy de France. Et si son nom était connu parmi les chrestiens, il est allé jusques aux Turcz ; de telle façon, et il n’y a rien si vray, que le grand sultan Soliman, l’un des grandz personnages et capitaines qui régna despuis les Ottomans, un an avant qu’il mourut, l’envoya rechercher d’amitié et accointance, et lui demanda advis comme d’un oracle d’Apolo ; et, comme je tiens de bon lieu, ilz avaient quelque intelligence pour faire quelque haute entreprise, que je n’ai jamais pu tirer ny sçavoir de M. de Theligny, mon grand ami et frère d’alliance, qui fut despesché de M. l’admiral et le seigneur de Ville-Conin à Constantinople, là où ils ne le trouvaient point, car il estait desjà parti pour son voyage de Siguet (Szygeth), où il mourut. »

Téligny revint sans avoir pu remplir sa mission, ayant eu la douleur de perdre en route son ami Ville-Gonin. La Bibliothèque nationale conserve le manuscrit d’une complainte touchante qui fut adressée à ce sujet à Téligny[1]. Nous n’en citerons que les deux premiers vers :


Ô seigneur Téligny, seigneur plein de sagesse,
De bonté, de vertu et de grande proësse !


Sage, bon, vertueux, ces mots reviennent toujours sur les lèvres de ceux qui parlent de lui. 11 était également discret, car le secret de la négociation de Constantinople mourut avec lui. Charles IX demandait un jour à l’amiral, dans un de ces momens où il jouait l’abandon, si Téligny avait cherché à nouer des trames avec le grand sultan pour aider le parti huguenot. L’amiral protesta contre cette accusation et se contenta de dire que « son intervention dans cette affaire n’avait rien eu que de légitime (dépêche de sir Henry Norris à Cecil, 6 avril 1567). » Quelques mois après cet entretien, la guerre civile recommença par l’entreprise faite par les hugue- nots sur Meaux pour enlever la personne du roi; après la bataille de Saint-Denis, la lutte continue dans les provinces : on se bat et l’on traite en même temps. Les négociateurs sont « Telligni, fort agréable à la cour pour ses gentillesses[2], » et le cardinal de Chastillon. Après la bataille de Jarnac et la mort de Condé, l’amiral, chargé d’une responsabilité plus terrible, a sans cesse besoin de Téligny. Trois mois après cette bataille, il écrivait son testament

  1. Bibliothèque nationale, mss. français, vol. 22561, fol. 32 et suiv.
  2. D’Aubigné, Histoire universelle, t. ler, p. 227.