Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Séparée de son fils, Louise de Coligny ne trouva pas toujours des consolations dans les familles auxquelles s’étaient alliées ses filles. Le duc de Bouillon, celui qui avait un moment ravi son enthousiasme, avait beaucoup d’esprit, sa correspondance en fait foi ; mais il avait l’humeur inquiète, changeante, tournée à l’intrigue : il était peu sûr. La gloire d’Henri IV l’aveuglait et par moments l’offusquait ; il ne se croyait jamais assez payé de ses services. Il avait pris un empire souverain sur sa femme et sur les La Trémoille. Il chercha à persuader aux deux sœurs que la princesse d’Orange, aveuglée par son amour maternel et trop désireuse de plaire à Henri IV, avait trop d’humilité en face de la maîtresse du roi ; qu’elle faisait aussi à la cour trop bon marché de sa qualité de princesse d’Orange-Nassau. Louise de Coligny se défendit avec autant de bonté que de dignité. Elle avait de grandes obligations à Henri IV, qui l’avait aidée à faire casser l’infâme arrêt rendu par le parlement contre Coligny, qui caressait de grands desseins pour le neveu du prince Maurice, qui appuyait les démarches qu’elle faisait pour obtenir la mise en liberté de Jacqueline d’Entremonts, la victime du duc de Savoie. Si la reine faisait, comme on disait alors, bonne chère à la marquise de Verneuil, la favorite du jour, il n’appartenait point à la princesse d’Orange de se montrer plus sévère. Celle-ci était sans cesse conviée à la cour par les commandemens du roi et de la reine. Sa place ne laissait pas d’y être difficile, mais son esprit se tenait au-dessus de méchantes questions d’étiquette. « Je n’ai garde, écrivait-elle, d’en faire de grands cancans, car ce serait cela qui serait bien préjudiciable, sachant bien qu’il y a ces quatre maisons (Longueville, Lorraine, Montpensier, Nemours) qui tiennent rang en France, qui sont si proches au roi qu’il ne donnera jamais d’avis à leur désavantage. » Elle évitait donc, surtout ne devant pas rester toujours à la cour de France, toutes les occasions qui pouvaient donner lieu à des luttes de préséance. Elle feignait de ne pas apercevoir les petites usurpations de Mlle de Guise, la fille du Balafré. « Ma fille, écrivait-elle à la duchesse de la Trémoille, je me souviendrai toujours fort bien de qui j’ai eu l’honneur d’avoir été femme et fille. » Elle avait connu d’autres angoisses que celles des places à la table de la reine et des passages des portes. Elle aimait la compagnie du roi qui trouvait moyen de réjouir sa tristesse, et Henri IV était heureux de la voir auprès de sa nouvelle épouse. Dans les lettres où elle raconte sa vie à la cour, on sent bien qu’elle se défend moins contre ses filles que contre le duc de Bouillon : elle ne le nomme point, mais elle sait qui cherche à lui nuire dans l’esprit de ses enfans. Elle n’use jamais de représailles et ne parle point des hommages presque amoureux que le duc de Bouillon rend à la