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l’être autrefois les modèles des Praxitèle et des Phidias. Leurs yeux sont grands, noirs comme du jais, avec des reflets de velours ou de feu ; de longs cils soyeux adoucissent leur regard et donnent à leur physionomie quelque chose de rêveur et de mélancolique. Ils ont les dents blanches, petites, bien rangées, un profil fin et régulier, un teint mat, pâle et vigoureux, une taille droite, élégante et fière à la fois : ils savent marcher, et le moindre d’entre eux, vêtu de son brillant costume, réalise en lui un type accompli de beauté et de distinction. Quant aux femmes, elles semblent avoir laissé aux hommes ce privilège de la perfection physique, qui est chez eux incontestable. Elles ont de beaux yeux et de beaux cheveux, souvent de belles dents, mais elles sont généralement mal faites, et leur figure gâte presque toujours ce qu’elle peut avoir de bien par un défaut quelconque : une femme a-t-elle de beaux yeux, de longs cheveux noirs, des dents étincelantes, un malheureux hasard lui a donné un nez camus et une bouche mal faite ; — a-t-elle un profil correct, un nez droit, elle a de vilaines dents ou quelque autre chose qui la dépare. Ainsi faites, elles ne sont même pas jolies, la grâce leur manque ; celles qui sont supportables sont des beautés imparfaites.

Ce n’est pas l’opinion qu’on se fait d’ordinaire en Europe de la physionomie des femmes grecques, et, si l’on se trompe ainsi gravement à ce sujet, on les connaît mal quant au reste, et on laisse dans le silence tout ce qui touche à leur caractère et à leurs mœurs. C’est pourtant chez les femmes qu’on trouve le mieux conservées les anciennes coutumes d’Orient, et tandis que les hommes tendent de jour en jour à se rapprocher de notre civilisation, elles, au contraire, au point de vue moral, restent stationnaires, et sont à peu de chose près ce qu’elles étaient il y a cinquante ans.

On peut dire que partout en Grèce, sauf à Athènes, où le courant des idées françaises a déjà changé bien des choses, les femmes n’ont pas d’existence individuelle et ne comptent pour rien dans la société. Les hommes ont, en se partageant les rôles, réservé pour eux tous les privilèges, depuis l’indépendance absolue jusqu’au peu d’instruction qu’ils possèdent ; à la femme reviennent seuls et sans exception les soins de la maison, les charges de la famille. — Dans les campagnes, c’est la femme qui s’occupe des enfans, du ménage, du foyer, de la cuisine, et quand sa besogne est achevée, qu’on ne croie pas que c’est pour elle l’heure du repos ; elle va rejoindre aux champs son mari qui travaille, et maniant la herse ou la bêche fait en une heure autant d’ouvrage que lui. Au retour, tandis que les hommes fument, assis autour du feu, la femme allaite son dernier-né, prépare le repas et va chercher, souvent très loin, à la source ou au puits, une grande cruche d’eau qu’elle rapporte sur son épaule.