Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des fidèles couvrent leurs dernières rumeurs, et le cortège s’avance éclairant tout à coup les rues sombres et irrégulières aux mille flammes des cierges que chacun tient à la main , et faisant retentir dans le silence de la nuit, au milieu des femmes et des vieillards agenouillés sur son passage, l’hymne solennel du Christ au tombeau. La procession revient ensuite à l’église où le silence se fait tout à coup : les fidèles sortent bientôt un à un, et la ville retombe peu à peu dans son sommeil paisible et sa tranquillité.

Le samedi, l’église est pleine avant minuit ; la voix monotone du prêtre à l’autel arrive à peine à la foule silencieuse et perdue dans l’ombre. Tout à coup un chant d’allégresse résonne sous les voûtes ; chacun le reprend à haute voix ; tous les cierges s’allument et viennent embraser l’église retentissante de flammes innombrables : c’est l’heure de la résurrection. Christos anesti ek nekrôn ! répète encore le prêtre, le Christ est ressuscité d’entre les morts ! On se presse, on s’embrasse ; ces deux mots sont sur toutes les lèvres : Christos anesli, Christos anesti ! Au dehors, la fusillade éclate, les cris, les bravos retentissent, et tout ce peuple, si calme tout à l’heure, sort en foule de l’église, ivre de joie et de gaîté.

C’est le signal des fêtes de Pâques ; elles vont durer trois jours pendant lesquels personne ne travaille. Déjà le samedi des bergers, descendus des montagnes et des villages, ont amené dans la ville leurs nombreux troupeaux. Chacun, même le plus pauvre, a choisi un mouton qu’il a déjà égorgé dans sa cour ; c’est un vieil usage et une superstition : cette sorte de sacrifice doit porter bonheur à la maison. Le dimanche matin, on allume un grand feu dans la cour, on coupe et on taille une longue branche d’arbre bien droite qui tient lieu de broche, et l’on rôtit ainsi sur le feu vif le mouton dépouillé. La ville à cette heure-là est déserte et silencieuse comme une ville morte ; chacun reste chez soi, tout est fermé, on ne rencontrerait pas un enfant dans les rues.

Le vendredi suivant, grande fête locale à Aigion, fête de Tripiti. Tripiti est le nom qu’on donne à une petite chapelle établie dans le creux d’une roche au bord de la mer, à l’ouest de la ville. Dès le matin, tous les habitans, hommes, femmes, enfans, s’y rendent en pèlerinage ; puis tous reviennent ensemble au milieu des fusillades et des détonations des varellota (petit baril). On s’arrête sur une promenade appelée Galaxidi ; les jeunes gens de la paroisse de la cathédrale, revêtus de leurs plus brillans costumes et parés de leurs plus belles armes, se réunissent en une bande nombreuse et parcourent la ville tambours, en tête et portant au premier rang l’étendard de la paroisse. Toute la semaine, on a fait des quêtes dans les maisons pour se préparer à cette fête, et l’on s’est occupé à confec-