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sés sécher pendant dix ou douze jours au soleil, sur des terrains battus ou sur des nattes spécialement préparées à cet usage. S’il survient un jour, une heure de pluie durant ce temps, la récolte est perdue ; les grains déjà couverts de sucre se collent entre eux et ne forment plus qu’une pâte gluante qu’il est impossible d’utiliser. C’est du reste une catastrophe fort rare, et la constance du climat est telle qu’on peut compter sans imprudence sur trente jours consécutifs de temps sec. Un grand nombre de femmes venues des montagnes sont installées dans les magasins et commencent, au fur et à mesure qu’arrive le raisin, à en faire le triage. Elles passent au tamis tous les grains pour en séparer la poussière et les petites pierres qui s’y trouvent mêlées, puis elles procèdent à un second travail plus long encore et qui consiste à diviser le raisin en trois catégories. Les rebuts ne sont pas vendus, on les garde, et quoiqu’il soit facile d’en faire d’excellente eau-de-vie on les donne aux pourceaux. Pendant ces différens travaux, six ou huit grands bâtimens à vapeur anglais, d’un fort tonnage, ont jeté l’ancre dans le port ; ce nouveau voisinage est une grande distraction pour la ville et devient pour les propriétaires de staphidès et leurs familles l’occasion de véritables fêtes. Une fois entassés dans des myriades de caisses soigneusement marquées, on embarque les raisins, et les paquebots quittent Aigion, emportant à Londres la récolte de l’année. L’Angleterre seule en effet traite directement avec les grands propriétaires du pays : ceux-ci achètent à leurs voisins moins riches ou aux monastères tout ce qu’ils ont de raisin, afin d’en rassembler dans leurs magasins des quantités considérables, et l’expédient à leurs commissionnaires ou à des correspondans anglais qui les vendent là-bas. On a introduit depuis quelques années plusieurs perfectionnemens dans la manière de trier les grains de raisin, et c’est un point sur lequel les Grecs ne sont pas routiniers. Ainsi ils font venir des machines à bras qui ressemblent beaucoup à celles qu’on emploie en France pour passer le blé battu et qui facilitent et abrègent le travail si long qu’on laissait auparavant aux femmes.

La campagne d’Aigion produit aussi beaucoup de vin, et j’ai dit qu’il serait très bon, si on ne le gâtait pas en y ajoutant de la résine ; il ne faut donc pas songer à l’exporter et l’on se contente de le vendre pour rien (deux sous la mesure qui correspond au litre). Des propriétaires ou des entrepreneurs plus avisés ont su à Patras tirer meilleur parti des abondantes récoltes que fournissent les vignes des environs ; ils ne mettent pas de résine dans les tonneaux et conservent néanmoins les vins en les expédiant sur-le-champ. C’est aujourd’hui, avec l’exportation des raisins secs, une des plus riches ressources du commerce de Patras.