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même du sol est un obstacle à toute espèce de progrès. Il fallait une administration, une capitale avant tout, une armée, des routes, des écoles, et ce n’est qu’après ces réformes successives, ces créations, qu’il était permis d’espérer la moralisation et l’instruction d’un peuple quasi sauvage, disséminé dans des bourgades perdues, sur les montagnes ou dans les îles. Cinquante années à peine sont peu de temps pour une pareille œuvre, et l’on doit convenir en bonne foi que ce qu’on a fait est beaucoup. La Grèce n’avait rien que le désordre et l’épuisement de la lutte après la servitude ; aujourd’hui, empruntant aux principaux états ses voisins, et surtout à la France, qui l’avait délivrée, leurs meilleures institutions, elle a une capitale, un port, des villes de commerce déjà florissantes, telles que Syra, Patras, Corfou. Elle a des tribunaux, un recueil de lois civiles et commerciales, des facultés, des écoles, des églises, une banque nationale, une section de chemin de fer d’Athènes à la mer et une ligne importante en construction du Pirée à Lamia. Un service de paquebots fait communiquer régulièrement entre elles toutes les villes du littoral ; la poste fonctionne tant bien que mal, mais elle fonctionne, ce qui est beaucoup. Les routes, si elles sont à peine meilleures qu’autrefois, sont du moins sûres aujourd’hui, et le voyageur peut les suivre tranquille en Attique et dans tout le Péloponèse sans être attaqué par les klephtes. L’armée est régularisée ; plusieurs régimens de soldats montagnards ont été spécialement formés en vue de la répression du brigandage. Des compagnies d’armatoles ou de clytires sont détachées dans les provinces. Chaque ville a son école, une succursale de la banque, un bureau télégraphique, une préfecture ou une sous-préfecture, un maire et un conseil municipal. En un mot, il ne s’agit plus maintenant de créations, il s’agit de perfectionnemens, d’améliorations, ce qui est bien différent. Sur ce point sans doute, et les Grecs sont les premiers à en convenir, il y a beaucoup à faire ; mais le premier pas, le plus difficile, est fait, et quand l’instruction se sera répandue peu à peu avec les nombreuses innovations qu’on apporte chaque jour, le moral et l’intelligence de la classe moyenne s’élèveront insensiblement, et c’est alors qu’on sentira bien le fruit de ces réformes encore stériles sous certains rapports, mais non pas aussi inefficaces qu’on s’est plu à le déclarer.

Paul d’Estournelles de Constant.