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militaires. Les tories, qui gouvernent en 1778 au profit de la prérogative royale, ne sont pas moins décidés contre l’indépendance de l’Amérique : le succès de la guerre est une espèce d’enjeu que se disputent les partis ; mais alors une troisième force apparaît, l’opinion publique, qui s’est dégoûtée la première de la lutte et qui trouve avec raison qu’elle n’est plus représentée dans le gouvernement. Elle y entrera de vive force, après trois ans d’efforts : tantôt elle se fait jour au parlement par la bouche un peu vénale des grands orateurs; tantôt elle prend de l’empire sur les amis du roi, qui, comme lord Shelburne, pensent que la prérogative royale, pour se maintenir contre l’aristocratie, doit s’appuyer sur l’opinion publique; cette alliance passagère de deux forces si différentes amènera la paix, parce qu’elle arrachera le consentement de George III. Mais ce monarque aura rendu un hommage solennel à l’opinion, seul souverain véritable de la Grande-Bretagne. On voit d’ici les conséquences du système, que l’historien ne dit pas : c’est dans le corps de la nation que résident les sympathies permanentes pour la république américaine, et la guerre de l’indépendance va renouveler les principes du gouvernement de l’Angleterre. Celle-ci, jusque-là, n’avait compris la liberté que dans un sens étroit, et la considérait plutôt comme une collection de privilèges. Elle ressemblait fort à la cité romaine. Hors de son île, le sénat britannique agissait à peu près comme les princes du continent et ne songeait guère à répandre autour de lui les principes libéraux dont il vivait; cela dura jusqu’au jour où ces Romains rencontrèrent dans leurs colons d’autres Romains aussi fiers qu’eux-mêmes, aussi jaloux de leur indépendance, et qui l’appuyaient sur des principes absolument nouveaux. Par là, on explique à la fois l’hostilité passagère des deux branches de la famille saxonne et, à défaut de tendresse, les liens durables qui les enchaînent sans les unir.

En revanche, lorsqu’il passe le détroit, l’historien des États-Unis est complètement dérouté par la physionomie mobile de ses amis improvisés. Qui donc, dans cette France monarchique, aime les Américains et la liberté? Est-ce le roi, le plus catholique des hommes, qui déteste presque également les protestans et les rebelles ? Il est entraîné, et le principal personnage de la pièce ne comprend pas le rôle qu’on lui fait jouer. Est-ce la jeune reine, capricieuse, fière, exigeante, n’entendant rien à la politique, quand elle ne touche pas à l’Autriche, et ne se mêlant des affaires que pour embrouiller tous les fils? Les sympathies américaines ne poussent guère de racines dans un tel caractère. Seraient-ce par hasard les ministres? mais aucun, dès le début, n’est porté pour la cause des colonies. Les ministres libéraux, comme Turgot et Necker, sont trop clairvoyans, trop alarmés de l’état des finances pour soutenir une campagne