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bien innocent de naviguer sans recevoir la visite des officiers anglais. Les passions politiques qui animaient alors la France ont fait assez d’éclat dans le monde pour que l’attention qu’elle prêtait à l’Amérique parût un épisode d’une révolution beaucoup plus vaste. Il est permis de ne les point approuver, mais non pas de les oublier parmi les forces permanentes qui préparent l’avenir à travers le conflit des intérêts moins durables ou des passions plus légères.

On va voir d’ailleurs que chez M. Bancroft cette froideur est non pas l’effet d’une inadvertance, mais la conséquence d’un système. Il passe de France en Allemagne, et découvre là des principes si étonnans, bien que cachés, des sympathies si prodigieuses, bien qu’impuissantes, qu’il éprouve le besoin d’en rechercher l’origine dans la nuit des temps. C’est à propos de l’Allemagne qu’il embrasse d’un regard le passé de toute l’Europe : tentative curieuse, venant d’un esprit très américain, qui n’a point de penchant vers les idées générales, et qui trouve que les Français en ont trop. Nous allons essayer d’en dégager les conclusions, bien que l’auteur, fidèle à ses goûts germaniques, se garde de les formuler.

Les deux idées dont il suit les traces incertaines à travers les âges, sont la liberté politique et la liberté religieuse; sur cette dernière vient se placer, comme une greffe plus récente, l’esprit philosophique, et les trois rameaux d’un développement inégal sont eux-mêmes greffés sur le vieux tronc de la race germanique. C’est dans les forêts allemandes qu’a grandi, comme chacun sait, le gouvernement constitutionnel, avec les assemblées d’hommes libres, et malgré d’assez longues éclipses. La civilisation latine nous a bien transmis le christianisme; mais un héros germain, Charles Martel, se fait l’apôtre armé de cette doctrine contre l’islam, et assure par là le triomphe du principe spiritualiste sur les appétits grossiers. Après lui, Charlemagne essaie de fondre ensemble la civilisation germanique et l’organisation romaine, et cette grande œuvre est cimentée par l’union du pape et de l’empereur. Toutefois l’instrument encore barbare qui a défendu sans le savoir les droits de la pensée humaine, les détruirait bientôt par le despotisme, si le chef spirituel de la chrétienté, le pape, devenait l’homme-lige de l’empereur. M. Bancroft indique avec beaucoup de sagacité que les papes, qui n’étaient pas Germains cependant, furent longtemps les champions de l’indépendance morale. Leur autorité dégénéra; en Allemagne, des principautés séculières sont remises aux mains des évêques, qui pèsent dans les conseils à la fois comme prélats et comme princes de l’empire. Tandis que le pouvoir universel de l’empereur n’est qu’une fiction, celui du pape s’étend sur toutes les consciences, et se joue des frontières que la force matérielle est tenue de respecter. Triste époque pour toutes