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une fois lancés nous nous battons bien, et si nous engageons légèrement notre parole, un je ne sais quel honneur nous y rend fidèles. D’ailleurs les batailles gagnées, les villes prises, la flotte ennemie tenue à l’écart, ce sont des faits, des services rendus ; or un Américain peut avoir ses idées, mais il respecte les faits, et quand il en profite, il oublie de leur demander leur passeport. Il en résulte que l’historien change plusieurs fois de ton pendant le cours du récit : sévère au début pour le peuple et pour la cour, il rend ensuite à nos troupes un hommage un peu froid, et il se laisse tout à fait attendrir au siège de Yorktown. Lorsqu’on parle de l’appui donné par la France aux États-Unis, on distingue naturellement le concours volontaire des particuliers et l’alliance acceptée par le roi. Le premier, que le nom de Lafayette a immortalisé, remplit toute l’histoire de la guerre, et il égale, par la chaleur de l’enthousiasme, l’obstination des Américains. La seconde, conclue seulement en 1778, a été moins célébrée : cependant elle apportait à l’insurrection des avantages infiniment plus solides. On a discuté l’opportunité de cette alliance et M. de Circourt paraît croire que, née d’un mouvement de dépit contre l’Angleterre, elle fut désastreuse pour nos finances, funeste à la royauté ainsi qu’à l’esprit public qu’elle acheva d’égarer. On pourrait répondre que la royauté lui dut de se soutenir pendant quelques années, que l’état de nos finances tenait à des causes plus graves et plus anciennes; pour juger les résultats de la guerre, il faudrait se représenter quelle eût été la situation de la France et du monde, si l’Angleterre victorieuse avait réussi à faire prévaloir son autorité depuis la baie d’Hudson jusqu’aux Florides, envahi peu à peu les colonies espagnoles, imposé aux nations cette suprématie maritime dont elle se montrait si jalouse, et développé enfin son empire jusqu’à des proportions funestes sans doute à elle-même, mais à coup sûr menaçantes pour l’équilibre européen. Quoi qu’il en soit, la politique française, une fois engagée dans l’alliance américaine, présenta un mélange de générosité et de prudence qui doit rendre le nom de Vergennes également cher aux deux pays. M. Bancroft aurait mieux servi la vérité historique s’il avait mis en lumière le double bienfait qu’elle procura : au dehors, elle donnait aux états confédérés la consistance d’une nation et les introduisait sous son patronage dans le concert des puissances. Au dedans, elle aidait le congrès à resserrer les liens de l’Union sans cesse compromis. Si imparfaite et si troublée que fût la constitution de la France à cette époque, elle avait sur la confédération naissante un avantage décisif pour la guerre : elle pouvait concentrer rapidement des hommes et de l’argent. Au contraire, la jalousie des états confédérés refusait au congrès toute initiative et le laissait, au plus fort de la lutte, sans influence et sans moyen