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lacs, il restera neutre et n’ira pas sacrifier la bonne entente des alliés à un mouvement de mauvaise humeur. Il recommande à l’agent français de rester au-dessus des partis qui divisent le congrès, de manière « à soutenir avec circonspection le courage des uns, et à ramener les autres dans la bonne voie par la persuasion. » Les erreurs que l’on peut reprocher à M. de Vergennes sont celles de son temps et de son pays. Serviteur dévoué du roi, il goûte peu les principes politiques que l’Amérique va faire fructifier. Ce qui le frappe, c’est l’impuissance du pouvoir central et l’inertie du congrès; accoutumé aux armées régulières et aux batailles rangées, il parle avec trop de dédain des hardis partisans qui ne cessèrent d’inquiéter l’armée anglaise; il ne sait pas voir, dans les opérations décousues des généraux américains, l’effort toujours renaissant d’un peuple opiniâtre, et il estime un peu trop haut la coopération militaire de la France. Les préjugés du grand seigneur ne lui permettent pas d’anticiper sur l’avenir et de mesurer la force d’expansion de l’esprit démocratique uni à l’énergie saxonne; aussi croit-il pouvoir tracer sur la carte la frontière de la nouvelle république. On sourit des digues que la diplomatie essaya d’opposer à l’essor de la confédération vers l’ouest; mais ces erreurs ne devinrent jamais des fautes: un homme d’action n’est tenu de peser que les forces qui se font contre-poids dans le moment où il agit; M. de Vergennes excella dans cette tâche et fit à chacun sa part sans prétendre commander au destin, qui refait à son gré l’œuvre des politiques.

Nous ne suivrons pas M. Bancroft sur les champs de bataille ou dans l’enceinte des assemblées américaines; mais il resterait à montrer quelle fut l’influence de l’Amérique sur les nations qui ont desservi ou favorisé sa cause. Ce sujet est parfaitement traité dans les conclusions historiques que M. de Circourt ajoute à sa traduction, et en lisant ces pages si pleines, si fermes, si claires, où l’écrivain embrasse sans effort les causes et les suites d’un événement considérable, on ne peut s’empêcher de faire un retour sur cette érudition surchargée, laborieuse, emphatique et obscure que certains écrits contemporains ont mise à la mode. On se demande si la science de l’histoire consiste à énumérer les détails les plus insignifians de la vie sociale, à donner des chiffres sur le revenu d’un prince, sur de nombre de ses serviteurs, sur le prix des plats servis à sa table ou la qualité des vêtemens qu’il porte, à peindre la physionomie extérieure, l’allure, les manies, les tics d’un certain nombre d’hommes pris au hasard dans les différentes classes, — si au contraire le véritable savoir ne doit pas négliger ces recherches puériles ou tout au moins les subordonner, comme des accessoires, à l’étude des intérêts, des sentimens, des principes et des œuvres qui marquent le vrai caractère d’une époque. M. de Circourt, conduit par son sujet