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REVUE. — CHRONIQUE.

à interpréter, à diriger et à régler ce mouvement d’opinion qui vient de se produire. La majorité parlementaire, dont on ne peut se passer, dépend elle-même de ce qu’on fera pour la fixer, pour l’enlever sans plus de retard aux incertitudes et aux excitations. C’est aujourd’hui l’œuvre du ministère récemment formé sous la présidence de M. Dufaure, Les négociations ont été, à ce qu’il semble, assez laborieuses, puisqu’elles ont été plusieurs fois interrompues et renouées depuis quinze jours. D’autres combinaisons ont été essayées de concert avec M. Casimir Perier, elles ont échoué, et le cabinet a fini par se constituer en réunissant quelques-uns des anciens ministres, M. le général de Cissey, M. le duc Decazes, l’heureux élu du VIIIe arrondissement de Paris, M. Léon Say et des hommes comme M. L’amiral Fourichon, M. Waddington, M. Teisserenc de Bort, M. Christophle. Le ministère de l’intérieur est confié à M. Ricard, qui dès son entrée en fonctions vient d’appeler auprès de lui comme sous-secrétaire d’état M. de Marcère, un des partisans les plus actifs, les plus intelligens de la république et de la constitution. Voilà donc le ministère formé et composé d’hommes dont le nom seul suffit pour lui donner le caractère constitutionnel le plus prononcé; ce qu’il a de mieux à faire maintenant, c’est de se hâter, de couper court à tous les commentaires, de se présenter devant les chambres avec l’exposé simple et net de sa politique et de ses intentions. Que les impatiens et les dédaigneux ne l’attendent même pas à l’œuvre pour l’attaquer, qu’ils se plaisent à triompher de cette irrégularité d’un ministre de l’intérieur qui a été un des vaincus du scrutin et qui n’aura été relevé de sa défaite que par l’élection prochaine, à laquelle il devra sans doute d’être sénateur inamovible, soit : le cabinet doit être préparé à ces hostilités dirigées contre lui, surtout par les partis extrêmes. S’il le veut, il peut les dominer, parce qu’après tout il représente ce qu’il y a de réalisable dans le mouvement d’opinion dont les élections dernières sont l’expression, parce que dans son ensemble il répond à une des plus évidentes nécessités du moment, parce qu’enfin on serait peut-être embarrassé pour le remplacer.

Ce n’est là encore qu’un ministère du centre gauche, dit-on, et le centre gauche est dépassé; il n’est plus que le groupe le moins nombreux de la majorité républicaine. Eh! sans doute, c’est un ministère du centre gauche, c’est-à-dire de la fraction parlementaire qui, plus que toute autre, a rendu la république possible, qui, seule, peut encore l’accréditer par la modération, par l’esprit de mesure dans l’application graduelle d’une politique libérale, et on tranche bien vite la question de savoir à qui appartient réellement la majorité nouvelle. Pour le moment, le ministère a un mérite qui peut être sa force devant les chambres : il est l’expression vivante, modérée, mais suffisamment nette de l’évolution qui vient de s’accomplir; il est la garantie de la paix dans