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REVUE. — CHRONIQUE.

autres remaniemens s’accompliront sans précipitation, avec mesure, de façon à concilier les intérêts administratifs et les nécessités d’une politique nouvelle. Le ministère tient sans doute à ne point paraître imiter ces brusques révolutions de personnel dont on lui a donné l’exemple, et, à vrai dire, la question est moins dans la brutalité des révocations que dans la direction libérale, vigilante et active imprimée à l’administration tout entière. En définitive, ce programme ministériel est le mot d’ordre d’une politique qui, en s’inspirant des élections dernières, en répondant sur certains points aux impatiences d’une opinion victorieuse, veut marcher sans secousse et sans violence, réalisant jour par jour ce qui est possible, identifiant la république avec un progrès régulier. Si le ministère franchit les premiers écueils, s’il sait allier une certaine hardiesse confiante et l’esprit d’initiative à la prudence d’exécution, il peut assurément rendre les plus utiles services par la manière dont il aura inauguré la période réellement pratique du régime nouveau. Il ne tardera pas à conquérir cette majorité qu’on lui dispute aujourd’hui par une opposition anticipée et irréfléchie, au nom d’une politique plus bruyante et plus intempérante que précise.

C’est là en effet la question du moment, et les hommes du centre gauche, de la gauche modérée ne peuvent s’y tromper : la lutte est engagée entre la politique possible, pratique, marchant à l’affermissement de la république par la paix, par l’ordre régulier, par l’accord maintenu entre tous les pouvoirs, et une politique de turbulence et d’entraînement qui ne sait même pas ou qui ne dit pas où elle va. Nous assistons à ce duel avoué ou dissimulé. Depuis que les élections ont créé une situation nouvelle, il est clair qu’il y a un effort désespéré pour dénaturer les derniers scrutins, pour leur donner une signification qu’ils n’ont pas, pour précipiter le mouvement, au risque de compromettre dans des aventures ce qui a été conquis depuis quelques années par une persévérante modération. On dirait que les républicains d’une certaine classe sont impatiens de faire chavirer la barque que d’autres ont mise à flot, ou, pour parler plus simplement, de ruiner la république, dont ils se prétendent les serviteurs. Ils mettent un zèle redoutable à la ruiner de toute façon. Ils la livrent d’abord au ridicule par leurs jactances, par la puérilité de leurs déclamations, par cette comédie éternelle de l’esprit de parti gonflé, enivré et infatué de ses succès. Depuis que la république a obtenu la sanction du pays dans les votes du 20 février et du 5 mars, tout a positivement changé dans l’atmosphère! Si le soleil est encore obscurci par les giboulées de mars, c’est une erreur du ciel qui n’a pas eu le temps de se faire républicain et radical ! Que Paris, pour se distraire, nomme M. Floquet ou M. Barodet, Paris vient de s’illustrer, de déployer sa puissance! Que M. Raspail doive à ses quatre-vingt-deux ans de présider la première séance de la chambre des députés,