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le danger des fusions extra-parlementaires en gardant leur indépendance. M. Gambetta, dans ses entreprises de domination personnelle, rencontrera plus d’une résistance, et probablement d’abord celle de M. Thiers lui-même, qui n’est point resté dans la chambre des députés pour livrer aux fantaisies et aux passions aventureuses cette république conservatrice dont il a été le premier à tracer les conditions. L’ancien dictateur de Tours a l’ambition un peu impatiente ; il a encore plus d’un discours à faire, plus d’une victoire à remporter sur lui-même, avant de pouvoir disposer réellement des majorités et des destinées du pays. Pour le moment, il peut se contenter d’être Richelieu, Cavour et Bismarck, — dans un journal belge! Que lui faut-il de plus? A la France, il faut une vie régulière et paisible dans l’ordre constitutionnel qu’on a proposé l’autre jour à sa sanction, qu’on ne lui a pas donné sans doute pour en faire sortir aussitôt des agitations et des conflits nouveaux.

Rien de plus curieux et de plus utile à certaines heures que de lire le présent dans le passé. C’est le sérieux attrait du nouveau volume des Mémoires de M. Odilon Barrot, de cet ancien chef d’opposition, qui ne fut pas toujours peut-être un politique des plus clairvoyans, mais qui a été toute sa vie un type d’honnête homme, et qui au moment voulu a su être un ministre courageux et éloquent contre tous les déchaînemens révolutionnaires. La période que raconte aujourd’hui M. Odilon Barrot est courte et saisissante ; c’est la période de son ministère entre le 20 décembre 1848 et le 30 octobre 1849, entre la proclamation de la présidence du prince Louis-Napoléon Bonaparte et le jour où le futur empereur, après avoir surmonté les premières difficultés, s’émancipait de la tutelle d’un ministère honnêtement parlementaire pour s’engager dans les aventures.

Il y a sans doute et heureusement bien des différences entre ce temps-là et l’époque où nous sommes. La révolution de 1848 avait eu la fatale idée de se donner une constitution combinée de façon à enfanter des conflits qui ne pouvaient être dénoués que par la force, par la victoire d’un pouvoir sur l’autre pouvoir. La constitution de 1875 a été faite avec plus de prévoyance, elle réunit toutes les garanties conservatrices, elle assure un dénoûment pacifique et régulier à toutes les difficultés. En 1848, le président élu par le suffrage universel trouvait des excitations dans son nom même, dans son humeur aventureuse, dans les traditions dynastiques qu’il représentait, dans les passions qui l’entouraient, dans les alarmes publiques qu’il n’avait qu’à exploiter. Aujourd’hui le chef de l’état est un soldat dévoué, un fidèle et loyal serviteur du pays, offrant cette garantie que la pensée d’un coup d’état possible, d’un acte d’ambition ou d’emportement ne vient à personne. La différence est à l’avantage de nos ministres d’aujourd’hui. M. Odilon Barrot n’avait pas la faveur d’une situation si commode. Il se trouvait placé