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enfermés dans les anciens presidios espagnols, des Indiens errans, des aventuriers américains en fort petit nombre, en faisaient toute la population. Mettre l’ordre au milieu de cet assemblage bigarré, assurer les droits du gouvernement des États-Unis, établir la base de la propriété et de l’impôt, telle fut la première tâche des officiers américains. Un colonel de dragons fut nommé commandant en chef ; il prit Sherman pour aide-de-camp, un simple soldat pour secrétaire, et ces trois hommes formèrent à eux seuls le gouvernement californien.

Nous ne suivrons pas Sherman dans toutes les expéditions hasardeuses que ses fonctions lui imposèrent. Elles avaient rempli plusieurs années de son existence, lorsqu’un jour le jeune officier vit entrer dans la chambre qui servait de bureau deux Américains qui demandèrent à parler à son colonel en particulier. Au bout d’un moment, celui-ci l’appela, et lui montra quelques parcelles métalliques étalées sur de petits morceaux de papier. « Qu’est-ce que cela ? avez-vous jamais vu de l’or natif ? » Sherman répondit qu’il en avait vu en 1848 en Géorgie. Il mâcha une des pépites, elle était malléable. On alla chercher dans la cour une hachette avec laquelle on en aplatit une autre ; le lustre métallique était parfait. Plus de doute, c’était bien de l’or, et le premier découvert dans la Sierra-Nevada. La nouvelle de cette découverte se répandit bientôt, et tous les aventuriers d’accourir ! Colonel et aide-de-camp allèrent visiter les placers, et, à la suggestion de Sherman, on acheta de la poudre d’or à 10 dollars l’once. On en remplit une boîte de fer-blanc qui avait servi à une conserve d’huîtres, et on l’envoya au président des États-Unis, qui fit de cet envoi l’objet d’un message au congrès. « Ainsi devint officiel, dit Sherman, ce qui jusqu’alors n’avait été qu’une vague rumeur. Alors aussi commença le développement prodigieux de la Californie et l’immense immigration qui arriva de tous côtés par terre et par mer. »

L’avenir était loin d’être aussi brillant pour Sherman. La fin de la guerre qui avait conduit l’armée du général Scott à Mexico, avait fait disparaître pour lui toute chance de se distinguer dans la carrière militaire. La fièvre de l’or allait rendre insupportable la vie des officiers en Californie. Tous leurs soldats désertaient pour aller aux mines, où le moindre salaire était de dix dollars par jour. Il fallut recourir à tous les expédiens pour vivre ; toute prévision commerciale avait été devancée par l’arrivée subite de la foule imprévoyante des chercheurs d’or ; les objets de première nécessité atteignaient des prix exorbitans. Sherman et son chef se tirèrent d’affaire en vendant l’excédant de leurs rations qu’ils touchaient en nature, et dont la valeur était énorme. Sherman se créa aussi quelques ressources en se faisant géomètre à ses momens perdus pour