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veut le reprendre dans l’armée comme officier-payeur, ou à n’importe quel titre. Sherman avait des amis à Washington ; par leur entremise, par celle des parens de son ancien colonel, qui appartenait à une des premières familles de la Louisiane, il est nommé directeur d’une école militaire que les autorités de cet état venaient de fonder. Cette situation lui convenait parfaitement. Il accourt aussitôt. De son école, il n’existait encore que les quatre murs, gardés par un charpentier et une vieille négresse qui lui faisait la cuisine. Sherman se met en ménage avec eux, et avec l’aide du charpentier commence la construction des tables, des bancs, des tableaux noirs et de tout le matériel de l’établissement. En même temps, il enrôle tout un état-major de professeurs, anciens élèves de West-Point, car il veut que le collège d’Alexandrie se modèle sur la fameuse école où il a reçu son éducation. Le cours de génie civil et militaire sera fait par lui. Tout marche à souhait ; la jeunesse de la Louisiane vient suivre ses leçons. Beauregard, qui va bientôt devenir son adversaire sur plus d’un champ de bataille, y envoie ses deux fils.

Nous sommes en 1860, et les événemens politiques se précipitent. L’élection de M. Lincoln éclate comme un coup de tonnerre. Le candidat du nord l’emporte sur le candidat du sud. Les états du sud, du moment que la majorité leur échappe, ne veulent plus de l’union, et le mouvement séparatiste commence. Sherman, bien qu’il ne partage pas les passions des abolitionistes, considère néanmoins la sécession comme un acte de trahison qui mène forcément à la guerre. « Jamais, s’écrie-t-il, le nord et l’ouest ne permettront que le cours du Mississipi échappe à leur contrôle. » Mais rien ne peut arrêter le torrent déchaîné. L’état de la Caroline du sud se sépare de l’Union ; la Louisiane suit le mouvement ; la doctrine que chaque état a le droit absolu (states rights) de se séparer de l’Union par sa seule volonté, et de contracter telle alliance qu’il lui plaira, est proclamée. Tandis que les meneurs de l’insurrection brusquent les choses, forment la confédération des états du sud et élisent président M. Jefferson Davis, le nord assiste à ce démembrement de l’empire avec une indifférence apparente et dans une inaction dont Sherman ne revient pas. Les milices louisianaises attaquent l’arsenal fédéral, défendu par un capitaine Haskins qui se rend. « Haskins, dit Sherman, aurait du défendre son poste jusqu’à la mort, mais jusqu’ici le gouvernement national de Washington avait montré une telle pusillanimité que les officiers de l’armée ne savaient ce qu’ils devaient faire. » Comme on voit, les révolutions se ressemblent partout. Après cet exploit, les armes enlevées aux autorités fédérales sont déposées au collège même dont Sherman est directeur, et lui, l’ancien officier de l’armée, se trouve condamné à être le receleur de ces caisses bien connues sur lesquelles on a