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pareille situation, une collision était inévitable ; aussi Sherman fut-il peu surpris d’entendre crier un matin que les Allemands avaient marché contre le camp Jackson. Les mesures avaient été bien prises : les miliciens séparatistes se rendirent sans coup férir ; mais avant la fin du jour survint un de ces accidens si fréquens en révolution. Laissons notre héros le raconter.

« Je m’en allais dans la direction du camp avec mon petit garçon Willie. Au haut d’Olive-street, en face de Lindell’s-grove, je trouvai le régiment de Frank Blair, les rangs ouverts, et au milieu les prisonniers du camp. La foule s’était rassemblée à l’en tour, appelant les prisonniers par leurs noms, quelques-uns criant hurrah pour Jefferson Davis, d’autres encourageant les troupes. Il y avait là des hommes, des femmes et des enfans. » À ce moment, un homme ivre voulut traverser la colonne ; un sergent le repoussa rudement et le fit tomber. L’homme se releva, ramassa son chapeau, puis, tirant un pistolet de sa poche, fit feu et blessa un officier. « Le régiment s’arrêta. Il y eut un moment de confusion, et les soldats commencèrent à tirer. J’entendis les balles dans les feuilles des arbres au-dessus de nous, et je vis les hommes et les femmes, dont quelques-uns étaient blessés, courir dans toutes les directions. Charles Ewing jeta mon fils Willie par terre et le couvrit de son corps. Je me jetai aussi à plat ventre. Le feu, commencé en tête du régiment, s’étendit jusqu’à la queue, et, comme je vis que les hommes rechargeaient, j’enlevai Willie et me précipitai avec lui dans un égout, qui nous protégea. Une femme, un enfant et deux ou trois hommes étaient tués. »

Après cela et après le bombardement du fort Sumter à Charleston, la lutte était commencée ; une carrière s’ouvrait pour tous ceux qui se sentaient les qualités et les connaissances de l’homme de guerre. Sherman le comprit. Il s’offrit pour commander non pas des volontaires levés pour trois mois, sorte de soldats pour lesquels il avait un profond mépris, mais des hommes enrôlés pour trois ans, « qu’un officier a le temps de préparer, et avec lesquels il peut rendre de bons services. » La réponse ne se fit pas attendre. Dans la disette d’hommes où l’on était, tous les anciens officiers étaient les bien-venus ; il fut nommé d’emblée colonel, et appelé immédiatement à Washington.

Ici s’arrête la première partie de la carrière de Sherman. Le voilà arrivé à l’âge où l’homme est dans toute sa force, l’intelligence dans toute sa puissance. Laborieusement, honorablement, il a lutté sans relâche contre toutes les vicissitudes, toutes les déceptions de la vie. Son éducation est complète. Sorti d’une des premières écoles du monde, il a appris en Californie quels sont les besoins et les lois indispensables de toute société. Chef d’une grande maison de