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d’identiques. « Il m’ordonna, dit Sherman, de reprendre l’offensive au jour, disant qu’ainsi qu’il l’avait déjà observé à Donelson, des deux côtés on semblait battu, et que celui des deux qui reprendrait résolument l’offensive était sûr de l’emporter. »

Grand exemple de ténacité, de promptitude de jugement et de décision, les premières qualités du chef de guerre ! Admirons aussi les soldats qui répondirent à cet appel et qui retournèrent vigoureusement à l’attaque le lendemain d’un échec, car ni eux, ni Grant, ni Sherman ne savaient à cette heure que l’assaillant devant lequel ils avaient dû plier, avait perdu 12,000 hommes dans la lutte. Tous ignoraient que le chef ennemi, Sydney Johnston, avait été tué. Tout au plus Grant et Sherman avaient-ils été avertis de l’approche des renforts dont les confédérés avaient voulu prévenir la jonction avec eux. Le soir même de la bataille, la tête de colonne de ces troupes parut en effet, mais de l’autre côté de la rivière, et une heure et demie après sa décisive entrevue avec Grant, Sherman vit arriver à son bivouac leur chef, le général Buel, qui les avait précédés. En débarquant, Buel avait été salué par les clameurs des poltrons, des fuyards, des non-combattans de toute espèce, entassés au bord du fleuve, qui déclaraient tous l’armée battue et entièrement détruite. Ce spectacle et la vue des scènes qui font l’arrière-plan inévitable d’une bataille sanglante l’avaient fortement impressionné. Sherman fit tous ses efforts pour le rassurer, mais sans succès apparent. Peut-être Buel voyait-il toujours en lui le toqué, le cerveau brûlé des journalistes. « Il semblait, dit Sherman, se défier de moi, et répétait sans cesse qu’il n’aimait pas l’aspect des affaires, particulièrement au débarcadère. J’eus réellement pour qu’il ne refusât de faire traverser la rivière à ses troupes pendant la nuit, de crainte de grossir encore notre complet désastre. »

Buel laissa Sherman dans cette cruelle angoisse ; cependant il finit par passer, et, lorsque le lendemain la bataille eut repris avec furie, on vit apparaître au milieu des fédéraux de longues colonnes à rangs bien remplis. Alors arriva ce qui se voit à la chasse, quand le relai inespéré est donné au milieu de la meute épuisée ; toutes les fatigues furent oubliées en un instant, et l’armée entière se précipita sur l’ennemi, qui battit promptement en retraite. Le troisième jour, après ces quarante-huit heures d’anxiétés et d’efforts, quand tous prenaient un repos indispensable, nous retrouvons Sherman, à la tête de la cavalerie, combattant encore, harcelant, poursuivant l’ennemi, ramassant les prisonniers et ne s’arrêtant qu’après avoir constaté et assuré l’étendue de la victoire. Voilà le Sherman du champ de bataille. Tel il a été là, et tel il sera dans toutes les luttes auxquelles il prendra part : une tête froide sur un corps de fer, le jugement et la décision aussi justes, aussi