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militaire, les besoins de l’armée, les mesures à prendre pour assurer son succès ? Nullement. Il venait s’occuper de coton et surtout de nègres. « La question des nègres commençait à poindre au milieu des éventualités politiques du jour, et bien des gens prévoyaient que non-seulement les esclaves, allaient obtenir leur affranchissement, mais aussi qu’ils auraient des votes ! » M. Staunton organisa donc une réunion privée de nègres et leur posa diverses questions, entre autres celle-ci : « quelle est l’opinion des hommes de couleur sur le général Sherman, et jusqu’à quel point regardent-ils ses sentimens et ses actions comme favorables à leurs droits et à leurs intérêts ? » Étrange spectacle que celui d’un ministre de la guerre venant demander à des nègres des témoignages pour… ou contre un général qui avait commandé 100,000 hommes sur des champs de bataille ! Laissons là ces misères et suivons Sherman, qui, après une campagne d’hiver de deux mois, arrive à Goldsborough, aux frontières de la Virginie.

Sur sa route, l’armée avait occupé et incendié Colombus, capitale de la Caroline du sud, Charleston s’était rendue, et tous les chemins de fer avaient été détruits. Le cercle se resserrait autour du foyer de la rébellion. Jeunes ou vieux, riches ou pauvres, perdaient leurs dernières illusions. On pouvait juger du découragement général à l’assurance des nègres, aux plaisanteries qu’ils hasardaient à une question de Sherman, qui voulait savoir s’il y avait des guérillas sur une route, un d’eux répondait, : « Des guévillas ? Non, maîte. Li pâtis depuis deux jours. Vous pouvoir jouer aux caâtes su li basques de leurs habits, li si pressés ! » Si les guérillas couraient, il y avait encore des hommes décidés à résister jusqu’au bout, et dont on ne peut se défendre d’admirer la persévérance. Au moment d’arriver à Goldsborough, l’armée de Sherman se heurte contre 30,000 hommes, malheureux débris ramassés de tous côtés, avec lesquels le général confédéré Johnston essaie de l’arrêter. Cette courageuse tentative ne pouvait réussir, mais elle donnait à craindre que l’ennemi aux abois ne fît des efforts désespérés sur l’étroit théâtre où la lutte se resserrait. Dans le dessein de s’entendre avec Grant sur les graves éventualités qui pouvaient surgir, Sherman alla le trouver au grand quartier-général devant Richmond. M. Lincoln y était venu de son côté. Les deux généraux eurent avec lui une longue entrevue.

La crise finale approchait. Dans l’impossibilité reconnue d’emporter de vive force les lignes de Richmond, il fallait en compléter l’investissement pour réduire l’ennemi par la famine. L’armée de Sherman allait remplir cette tâche. Il était probable qu’au lieu de se laisser enfermer Lee sortirait de ses retranchemens et unirait ses