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Novgorod et à Pskof, où elles avaient longtemps fleuri. L’absence même de féodalité, qui au premier abord semblerait avoir dû favoriser l’éclosion de la bourgeoisie, y fut plutôt un obstacle. Les souverains n’eurent pas autant d’intérêt à s’appuyer sur les villes, et les villes ne trouvèrent point dans les discordes des grands-vassaux et du pouvoir central une occasion d’affranchissement ou un moyen d’élévation. Un instant peut-être, lors de la crise qui suivit l’extinction de la maison souveraine, les cités russes se montrèrent capables de jouer un rôle politique ; elles prirent part à la délivrance du sol national, envahi par les Polonais, en même temps qu’à l’élection de la dynastie nouvelle ; puis, ruinées par cette longue période de trouble et comme épuisées de leurs propres efforts, elles abandonnèrent d’elles-mêmes, sous les premiers Romanof, les franchises que leur avaient accordées les derniers-princes de la race de Rurik. Dans toutes ces villes sans industrie, sans moyens de communication, presque sans population, il n’y avait à l’avènement de Pierre le Grand, en dépit de quelques nouvelles tentatives de son père Alexis, rien qui méritât le nom de bourgeoisie.

Une telle lacune ne pouvait manquer de frapper le tsar artisan dont le modèle de prédilection était le pays le plus bourgeois de l’Europe, la Hollande. Une classe moyenne, une bourgeoisie ne se pouvait malheureusement improviser aussi vite qu’une flotte et une armée. Les règlement spéciaux de Pierre le Grandi, l’autonomie administrative et le self-government dont il dota les villes, contribuèrent peut-être moins à la création d’une classe urbaine que l’activité générale du réformateur, l’introduction de nouvelles industries et de nouveaux moyens de communication et surtout l’ouverture de la Russie à l’Europe. Les progrès furent cependant lents. La mauvaise administration des successeurs de Pierre le Grand, les restrictions, apportées aux privilèges des villes et des marchands, enfin sous l’impératrice Elisabeth, l’érection des principales branches de commerce en monopoles concédés à des favoris de cour, retardèrent de plus ; d’un demi-siècle la naissance d’une classe moyenne. Catherine II, ici comme en toute chose, reprit et compléta l’œuvre de Pierre Ier. Elle voulut en même temps constituer une noblesse et une bourgeoisie, deux choses dont manquait presque également la Russie. C’est par elle que les habitans des villes ont été divisés entre les différens groupes qui subsistent encore aujourd’hui. Marchands, petits bourgeois, ouvriers, reçurent de sa main une organisation corporative, chacun de ces groupes divers eut ses chefs élus et tous furent réunis en corporations municipales auxquelles fut restitué le droit de justice avec le droit d’administration intérieure.