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royaume-uni. A l’entendre, il était malséant que le gouvernement entrât en compétition avec des entreprises privées ; l’argent du public ne devait pas plus servir à cet usage qu’à construire des filatures. On reconnaît les argumens qui ont servi tant de fois en pareille circonstance; ils étaient nouveaux à cette époque, si bien que les partisans du projet éprouvèrent sans doute quelque embarras d’y répondre. Une crise politique survint, le bill fut retiré. Il est vraisemblable que bien des gens regrettent aujourd’hui que le plan de MM. Burgoyne, Griffith et Barlow n’ait pas été adopté. Où en sont en effet les chemins de fer irlandais construits par le seul effort des entreprises privées? Sur 3,000 kilomètres, il y en a 800 qui ne rapportent rien à leurs actionnaires. De trente-cinq compagnies qui les ont construits, il n’en reste pas dix dont la situation soit prospère. Une vive réaction se manifeste, on le sait, contre le système anglais de la concurrence illimitée en matière de voies ferrées. Il est curieux de voir Burgoyne être dès le début l’adversaire d’un régime économique que beaucoup de ses compatriotes regardent aujourd’hui comme une erreur.

Tout en s’occupant de chemins de fer, de routes et de canaux, l’ancien ingénieur militaire n’avait pas oublié les occupations de ses jeunes années. Devenu général, tandis qu’il exerçait des fonctions civiles, il avait eu l’occasion de présenter divers projets de défense pour les côtes d’Irlande. En 1845, le poste d’inspecteur-général des fortifications devenait vacant par la retraite du titulaire; il s’y vit appelé. Il avait alors soixante-trois ans, l’âge auquel en tout pays, en Angleterre même à présent, un militaire n’est plus jugé capable de remplir des fonctions actives. Or, que l’on veuille bien le remarquer, être inspecteur-général des fortifications n’est pas une sinécure. C’est à cet officier que revient le soin d’organiser la défense matérielle du royaume. Ce que fit Burgoyne en cette qualité, ou plutôt ce qu’il voulut faire, on le verra plus tard. Le moment n’était pas favorable aux travaux de la guerre, car tout le monde, depuis le premier ministre jusqu’au plus modeste négociant, n’avait en tête que de développer la prospérité industrielle de la Grande-Bretagne. C’était déjà le beau temps des économistes de Manchester, qui se refusaient à admettre les éventualités de guerre dans leurs prévisions d’avenir. Les événemens de 1848 n’entamèrent pas trop cette confiance excessive; mais d’autres complications survinrent bientôt.

Aux premiers symptômes d’une rupture entre le sultan et l’empereur de Russie, le cabinet de Londres se demanda, si l’armée anglaise était appelée à intervenir, sous quelle forme et dans quel lieu s’exercerait cette intervention. Aussi dès le mois de janvier 1854