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J’allais me retirer, après avoir promis d’apporter à mon hôtesse des nouvelles de mon ami, lorsque son compagnon, qui s’était levé et avait sans doute prémédité l’attaque, me prit doucement par le bras pour me conduire devant la rangée de statuettes.

— Votre conversation, signor, m’a révélé un protecteur des beaux-arts. Permettez-moi d’attirer votre honorable attention sur ces modestes produits de mon talent. Ce sont là mes derniers essais ; ils sortent de l’atelier et n’ont jamais été exposés en public. Je les ai apportés ici afin de les soumettre à cette chère dame, qui est très bon juge, bien qu’elle affirme modestement le contraire. Je suis l’inventeur de ce genre de statuette. Sujet, style, matériaux, tout est de mon invention. Touchez-les, je vous prie ; vous pouvez les manier sans crainte. Si fragiles qu’elles semblent, elles ne se cassent pas. Mes diverses créations ont eu un grand succès. Elles sont surtout appréciées par les Américains. Trouvez-moi un plus joli ornement pour la cheminée d’un garçon ou pour le boudoir d’une jolie femme qui aime à rirel Cela n’est pas de l’art classique, évidemment ; mais, entre nous, l’art classique manque de gaîté. Jusqu’à présent la caricature, la charge, comme disent les Français, n’a été cultivée que par les dessinateurs et les écrivains dramatiques, — je crois avoir été le premier à l’introduire dans la sculpture. Que dites-vous de mes types ? L’idée ne vous paraît-elle pas aussi heureuse que hardie ? Chattes et singes, singes et chats, — toute la nature humaine est là ! La nature humaine envisagée au point de vue satirique, bien entendu.

Tandis que cet aimable Juvénal de la statuaire me débitait son boniment, il avait pris une à une les statuettes, les tenant en l’air, leur administrant des pichenettes pour prouver leur solidité, les contemplant avec admiration. Chacun de ses groupes se composait d’une chatte et d’un singe, grotesquement affublés, qui se faisaient la cour. Malgré la monotonie du sujet, le soi-disant inventeur avait déployé un certain talent, car ses personnages ressemblaient à des chats et à des singes aussi bien qu’à des femmes et à des hommes. Néanmoins j’avoue que la ressemblance ne m’amusa pas ; ces imitations réussies avaient quelque chose de cynique. L’artiste qui les tenait entre le pouce et l’index, les caressant du regard, me fit l’effet d’un sapajou un peu plus intelligent que la généralité des quadrumanes. La politesse cependant m’arracha un sourire plus ou moins approbateur qui me valut un nouveau discours.

— C’est la nature prise sur le fait ! s’écria le statuaire. J’ai chez moi une petite ménagerie de singes qui me servent de modèles. Quant aux chats, il suffit de regarder sur les toits voisins. Depuis que j’ai commencé à étudier ces petites bêtes, j’ai fait des observations qui ne manquent pas de profondeur. Un esprit aussi supé-