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des premiers actes fut de rappeler en Angleterre sir John Burgoyne. L’infortuné général ne revint pas tout de suite cependant. Conservé pendant deux mois encore par lord Raglan, qui le consultait volontiers sur la direction à donner aux travaux du siège, il discuta et arrêta avec le général Niel les opérations militaires dont l’attaque de Malakof était le point essentiel. Il est à croire qu’il ne tenait pas beaucoup lui-même à prolonger son séjour en Crimée; l’armée anglaise, réduite comme elle l’était, n’y jouait plus un rôle satisfaisant pour son amour-propre. « Nos forces sont si mesquines dans l’armée combinée, écrit-il en février, que c’est devenu presque une expédition française, et que nos alliés poursuivent leur plan sans même nous consulter pour la forme. Si les campagnes futures se font dans de telles conditions, nous n’aurons plus d’Alma ni d’Inkermann à inscrire dans nos annales. »

En somme, Burgoyne retira peu de gloire de la guerre de Crimée. L’opinion publique fut injuste envers lui, comme elle l’est toujours envers ceux qui préparent un succès que d’autres obtiennent ensuite; mais à distance l’historien doit être plus équitable. Certes on ne peut comparer la situation qu’il avait alors dans le camp anglais à celle du général de Moltke dans l’armée prussienne. Ses conseils étaient intermittens en quelque sorte ; cependant personne n’a plus contribué que lui à l’élaboration des plans de campagne qui finirent par réussir. Lors de son premier voyage en Orient au mois de février 1854, il signale Sébastopol comme l’objectif que les alliés pourront avoir en vue dans le cas où les Russes se retireraient derrière le Danube, au lieu de livrer bataille auprès de Constantinople. L’expédition dont il trace déjà le plan ne ressemble en rien à celle qui fut entreprise; il imagine en effet que l’armée anglo-française tiendra la campagne, qu’elle battra l’ennemi dans le nord de la Crimée avant de se rabattre sur Sébastopol. L’invasion résolue, il se retrouve près de lord Raglan, à la veille de l’embarquement. Il est prudent alors, si prudent qu’il désespère presque du succès. Après l’Aima, il ne songe plus qu’à prendre une position inexpugnable sur le plateau de la Chersonèse; il blâme le projet téméraire de ceux qui voudraient brusquer l’attaque; mais pour le siège régulier qu’il conseille d’exécuter, il faut des ressources que lord Raglan ne possède point. Le fardeau retombe presque en entier sur l’armée française. Les troupes anglaises s’évanouissent. C’est la puissance militaire de son pays qui s’effondre. Était-ce sa faute si l’Angleterre n’avait plus de soldats, si le ministère n’avait rien prévu de ce qu’exigeait une expédition de cette importance? Il n’en était pas coupable, et néanmoins on ne doit pas l’absoudre tout à fait, car les fonctions qu’il avait occupées auparavant