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le zèle passionné des affaires publiques. Cet attachement aux devoirs civiques a dans le passé des racines profondes, il tient à l’habitude séculaire de ce que les Anglais appelleraient le self-government. Aucun des pays qui avoisinent la Hongrie, aucun pays de l’Europe orientale ne saurait, sous ce rapport, lui être comparé. Seuls au milieu de ce monde vaste et compliqué, au milieu de cette Babel de races et de langues dominée par trois grands empires, les Magyars ont une tradition politique, une tradition de liberté. Même sous l’occupation ottomane, même sous la réaction autrichienne, ils conservaient au moins en principe leur indestructible constitution. Lors même que les circonstances empêchaient la réunion périodique des magnats et des députés en une diète nationale, — dans les cinquante comitats qui divisaient le sol, une nombreuse petite noblesse se réunissait, élisait des autorités locales, faisait l’assiette de l’impôt, réglait en un mot les affaires provinciales à défaut des affaires du pays. Lorsque revenaient des temps meilleurs, cette nombreuse petite noblesse, qui a été le seul peuple légal jusqu’en 1848, élisait des députés et votait un mandat détaillé qu’ils étaient tenus d’exécuter dans toutes ses parties. Chose étrange, le mandat impératif, qui est aujourd’hui dans plusieurs pays le rêve de la démocratie avancée, était une réalité dans cette constitution aristocratique, jalouse de consacrer l’action politique directe des citoyens.

Aujourd’hui encore les candidats sont tenus, dans l’intérêt de leur élection et surtout de leur réélection, de rester en communication fréquente avec leurs électeurs. Nous avons eu l’occasion, au mois de mai dernier, d’assister à l’une de ces rencontres dans une très petite ville, chef-lieu d’une circonscription. C’était le lundi de Pentecôte, jour de fête pendant lequel les travaux de la campagne sont interrompus. Dès le matin commençaient d’arriver les propriétaires et fermiers de plusieurs lieues à la ronde ; à travers les larges rues, bordées d’acacias et de basses maisons blanches, sous le soleil ardent d’un été précoce, ils défilaient jusqu’à la modeste maison de ville où les convoquait leur député. La plupart portaient de longues chemises flottantes, des bottes larges et fortes, de grands chapeaux d’où l’on voyait sortir leurs cheveux souvent disposés en tresse comme ceux des hussards de notre première révolution. Quelques-uns, les plus riches et les plus instruits, méprisant ce costume national, portaient exactement les mêmes habits que les messieurs cultivateurs des campagnes françaises ; un jeune noble, fort aimable et très élégant, était habillé selon la dernière mode de Vienne. A côté de ces électeurs venus des environs se faisaient remarquer les bourgeois et les fonctionnaires de la localité,