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A près le drame de Macbeth, celui d’Hamlet offre les observations les plus dignes d’être notées. Dans la première apparition du fantôme, il n’y a pas précisément un cas d’hallucination ; d’autres qu’Hamlet ont vu le même fantôme, et maints détails semblent favorables à la réalité de l’apparition. Que l’intérêt du drame gagne ou non à cette mise en scène, qu’il fût ou non nécessaire qu’Hamlet n’eût aucun doute sur la réalité de cette vision, c’est ce que nous n’avons pas à examiner ici. Toutefois ce n’est qu’à contre-cœur et comme malgré lui que Shakspeare renonce un instant à tout expliquer par les phénomènes naturels de l’hallucination. Dès le commencement, il nous montre Hamlet mélancolique, porté au suicide, obsédé de visions, car il lui semble voir « l’image de son père par l’œil de son âme. » Pour mieux marquer qu’il n’y a rien de surnaturel dans cette apparition, il nous fait assister aux hésitations du prince danois, qui craint même un instant d’avoir été le jouet de ses sens.

C’est au milieu d’une froide et sombre nuit, quand on entend au loin l’orgie du roi criminel, que le fantôme apparaît. Quoique philosophe et sceptique, Hamlet ne cherche point à redresser l’illusion de ses sens ; comme le remarque Horatio, dès les premiers instans « le délire s’est emparé de son imagination. » A mesure que l’hallucination envahit l’esprit d’Hamlet, l’excitation cérébrale augmente, et elle se prolonge encore longtemps après ; ce n’est évidemment que sous l’influence d’une exaltation considérable qu’il s’écrie : « Bien dit, vieille taupe, comment peux-tu travailler si vite sous terre ? » Plus Hamlet. avance, plus le fantôme fuit devant lui. Il s’arrête alors : « Où veux-tu me conduire ? Parle, je n’irai pas plus loin. » Rien de plus juste ; la plupart du temps la vision semble s’éloigner à mesure qu’on marche vers elle. J’ai sous les yeux la relation d’un cas semblable : un halluciné, croyant voir une figure près de son lit, se lève, la vision lui apparaît alors près de la porte de sa chambre ; il la suit, mais plus il approche, plus la vision fuit, et dans le corridor, et sur l’escalier, et jusqu’à la porte de la maison. Arrivé là, le malade se rendit enfin compte de l’illusion de ses sens.

La seconde vision d’Hamlet[1] a tous les caractères de l’hallucination réelle ; la reine en effet ne voit pas le fantôme, et elle en

  1. Au théâtre, on fait toujours apparaître le fantôme assez loin de la place où le portrait du roi est suspendu. Le fantôme devrait au contraire être visible en premier lieu près de ce portait, car l’hallucination d’Hamlet est préparée par l’attention avec laquelle il a contemplé la figure de son père. En pareil cas, les personnages des tableaux revêtent peu à peu les apparences de la vie et semblent sortir du cadre, comme le démontrent plusieurs hallucinations religieuses où les fidèles en adoration, les yeux fixés sur les figures saintes, ont vu celles-ci s’animer et s’avancer vers eux.