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probablement des offrandes à certaines pierres, car au XIIe siècle, en Gaule et dans la Grande-Bretagne, les conciles poursuivent encore de leurs anathèmes cette indestructible idolâtrie.

On a souvent pensé que le culte des astres et du feu présente un caractère plus élevé, plus spiritualiste que celui des animaux, des arbres et des pierres, et qu’en conséquence il est postérieur. Telle est l’opinion d’Auguste Comte, qui voit dans le sabéisme la transition constante et nécessaire du fétichisme au polythéisme. Rien n’est moins prouvé. Nous voyons le soleil, la lune, les étoiles, adorés par quelques-unes des tribus les plus grossières, en même temps que d’autres fétiches. D’autre part, Dupuy se trompe également en avançant sans preuves que le culte des corps célestes est la religion primitive, et que toutes les autres en sont dérivées. La vérité, semble-t-il, c’est que le sabéisme est contemporain des autres formes du fétichisme et n’indique pas par lui-même un degré supérieur de civilisation.

Que la superstition des premiers hommes ait égaré leurs hommages sur tous les objets de la nature, on le comprend encore : différentes explications, plus ou moins plausibles, peuvent en être données. Il est plus difficile d’admettre que des objets purement artificiels, des choses de fabrique humaine, soient devenus des dieux. D’après Hérodote, les Scythes adoraient un sabre de fer : en son honneur, ils sacrifiaient annuellement des bestiaux et des chevaux ; ri recevait à lui seul plus d’offrandes que toutes les autres divinités. Les Vitiens ont un respect superstitieux pour certains bâtons. Ici c’est une barre de fer qui reçoit les honneurs divins, là ce sont deux plats d’argent ; ailleurs c’est un anneau destiné à être passé dans les cartilages du nez ; ailleurs encore, c’est une crécelle. Le père Loyer a vu adorer le roi de cœur d’un jeu de cartes.

Que penser de tous ces cultes ? Faut-il prendre à la lettre les témoignages qui en établissent l’existence à peu près universelle à l’origine ? La raison humaine, le sentiment religieux, sont-ils vraiment partis de si bas ? Comment le progrès sera-t-il possible, si les croyances primitives ne contiennent pas le germe, aussi obscur que l’on voudra, des développemens ultérieurs ? De rien ne se fait pas quelque chose, et les formes épurées de religion auxquelles, dans le cours des siècles, s’élève de lui-même le genre humain, nous devons pouvoir les découvrir, vaguement dessinées déjà, dans la masse grossière des plus anciennes superstitions.


II

Jusqu’ici nous nous sommes bornés scrupuleusement à exposer les faits : tâchons maintenant de les expliquer. Il faut distinguer