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l’intelligence, tout un ordre de phénomènes auxquels la nature morale de l’animal reste éternellement étrangère ?


III

Les premiers hommes, avons-nous dit, ne furent pas des métaphysiciens, et c’est surtout par la conscience douloureuse de leur propre faiblesse, par le pressentiment d’une destinée meilleure, que le sentiment religieux s’éveilla tout d’abord dans leurs âmes. Nous devons croire cependant que, dès l’origine, la réflexion fut pour quelque chose dans cette évolution. Il est impossible que le spectacle de l’univers n’ait pas raconté à l’intelligence humaine, si grossière qu’on la veuille supposer, l’intelligence créatrice, la cause suprême de tous les êtres. Le principe qu’on appelle dans l’école principe de causalité, et qui est l’essence même de la raison, dut solliciter de bonne heure la réflexion et lui faire entrevoir l’existence d’un Dieu unique et tout-puissant. J’en trouve une preuve assez frappante dans le témoignage du missionnaire Crantz, qui rapporte ce raisonnement d’un Esquimau : « Un kadjak (canot) ne s’est pas fait tout seul, il a fallu, pour le construire, du travail et de l’adresse ; mais un oiseau est construit bien plus adroitement encore, car un homme ne peut pas faire un oiseau. On dira que cet oiseau est né de parens, et ceux-ci d’autres parens, et ainsi de suite ; mais il est nécessaire qu’il y ait eu à l’origine des premiers parens. D’où venaient-ils ? Certainement un être doit exister capable de les faire, eux et toutes choses, et il est beaucoup plus puissant et savant que le plus savant homme. » Je soupçonne que le missionnaire a revu et corrigé le raisonnement de son sauvage ; il a dû lui donner, au moins dans la forme, une rigueur et une précision dont l’Esquimau, si intelligent qu’on le suppose, eût été difficilement capable ; mais d’ailleurs je ne vois aucun motif de révoquer en doute le témoignage de Crantz. Cette déduction s’impose irrésistiblement à l’esprit humain, et tout porte à croire qu’elle fut le produit naturel et spontané de la réflexion naissante.

Il s’ensuivrait qu’à l’origine l’humanité fut monothéiste, et que le polythéisme n’est qu’une forme ultérieure et dégénérée de la religion primitive. Cette opinion, toute paradoxale qu’elle peut sembler aux disciples d’Auguste Comte, est confirmée par l’étude attentive des plus anciens monumens du sentiment religieux. De récentes découvertes ont donné la certitude que sous les superstitions populaires de l’antique Égypte, se cachait la croyance à une intelligence unique et souveraine, ordonnatrice de l’univers, juge des humains dans l’autre vie. Le duc d’Argyll et M. Fergusson font observer avec raison que la religion des premiers Aryas fut de