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même avoir une bataille à livrer? Sur ce point, Burgoyne était encore plus affirmatif. Tant dans la Grande-Bretagne qu’en Irlande, il y a 30,000 hommes de troupes régulières; il en faut de 20,000 à 25,000 pour défendre les arsenaux, il ne reste plus qu’une armée de 5,000 à 10,000 hommes pour tenir tête à l’invasion, avec cette circonstance aggravante que l’Angleterre n’a pas une seule forteresse, et que même les ports militaires ne sont pas à l’abri d’un coup de main. Woolwich, le plus important des arsenaux, n’est pas fortifié et ne peut l’être à cause de sa situation topographique. Quel remède à cette situation inquiétante? Il faut enrôler 30,000 hommes de plus dans l’armée permanente, constituer une forte réserve, fortifier Plymouth, Portsmouth et Sheerness, construire des batteries de côte partout où le débarquement de l’ennemi est à craindre, créer des ports de refuge où les bâtimens de guerre trouveraient un abri. En résumé, il est nécessaire d’augmenter le budget ordinaire de la guerre et de faire un emprunt pour l’exécution des ouvrages de défense qu’exige impérieusement la sécurité du royaume.

Peut-être l’agitation que Palmerston et Burgoyne s’efforçaient d’exciter en faveur d’une réforme militaire ne serait-elle pas sortie des cercles officiels; mais Wellington vivait encore à cette époque. Chef vénéré de l’armée anglaise, il avait en quelque sorte le monopole de parler en son nom. Va-t-il donc se déclarer satisfait et blâmer ces imprudens novateurs? Nullement; il vient à leur aide avec l’autorité que lui donnent les souvenirs d’une grande époque. Tout ce qu’ont dit les autres, il l’approuve. Accroissement de l’armée permanente, fortifications, reconstitution de l’armement, tout cela est indispensable à son avis, et il termine par une invocation touchante : « J’ai atteint avec honneur l’âge de soixante-dix-sept ans; que le Tout-Puissant veuille bien ne pas me rendre le témoin d’une tragédie contre laquelle mes compatriotes ne veulent pas se prémunir ! » Ainsi s’exprimait-il dans une lettre adressée au général Burgoyne, lettre qui n’était pas destinée à la publicité, mais dont les copies passèrent de main en main, si bien que les journaux finirent par en avoir connaissance et la publier. Il en fut fort contrit, non sans motif.

Le parti de la paix, dont MM. Bright et Cobden étaient les apôtres éloquens, jouissait alors d’un grand crédit au-delà de la Manche. On ne s’en douterait guère en se rappelant quelle faible influence il exerça six ans plus tard, au jour de la déclaration de guerre contre la Russie. Il en est toujours ainsi, dans tous les temps et dans tous les pays. La masse du peuple, qui s’imprègne d’idées pacifiques lorsque la politique internationale est calme, se passionne au contraire pour la guerre dès que les nuages s’amoncellent à l’horizon. Dans un discours prononcé à Manchester, M. Cobden traitait avec