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L’Inde était en pleine insurrection, une expédition avait été envoyée en Chine; il restait tout au plus dans les îles britanniques 20,000 hommes de l’armée régulière et 18,000 miliciens propres à tenir la campagne, à supposer que les dépôts des régimens et les pensionnaires fussent suffisans pour fournir des garnisons à tous les arsenaux. Cependant c’était encore une fausse alerte; les préparatifs de l’empereur Napoléon III n’avaient pas la Grande-Bretagne pour objectif, comme on l’apprit quelques mois plus tard.

Il est à remarquer que nous avions eu seuls jusqu’alors le privilège d’exciter les inquiétudes de nos voisins d’outre-Manche, inquiétudes assez vaines en somme et faciles à calmer, puisque aucune de ces crises, ni celles que lord Palmerston provoquait lui-même avec une singulière insouciance sous le règne de Louis-Philippe, ni celles qui le surprenaient à l’improviste sous le second empire, n’avaient eu la vertu de lui inspirer des réformes radicales et nécessaires. Les enseignemens de la malheureuse expédition de Crimée avaient été méconnus; tout au plus l’opinion publique en avait-elle fait un thème d’accusation contre les disciples de Wellington, dont l’influence restait prédominante au ministère de la guerre. Le parti de la paix conservait son prestige : les économistes de Manchester étaient toujours en faveur près des populations laborieuses des campagnes et des villes industrielles. De l’avis unanime, la France n’était-elle pas le seul ennemi héréditaire contre lequel il y eût à se mettre en garde? Et puisqu’en un demi-siècle les alternatives de froideur et d’entente cordiale, d’alliance et de désaccord, n’avaient pas une fois rompu la trêve des deux nations, quelle chance n’y avait-il pas pour que la paix fût éternelle? Cette belle confiance s’évanouit, hélas ! aux derniers jours de 1870. Cette fois l’alarme était sérieuse. Le gouvernement résolut de ne plus se contenter de demi-mesures. Disons d’abord ce qu’était au juste l’armée britannique : on saisira mieux ensuite les transformations qu’elle subit à cette époque; puis l’examen de ce qui existe aujourd’hui nous apprendra jusqu’à quel point ces dernières réformes ont été avantageuses.

Dans les hautes régions administratives où s’élaborent le recrutement et l’organisation de l’armée anglaise, il subsiste encore maintenant une dualité de commandement que des étrangers ont peine à concevoir. Le commandant en chef, nommé par commission royale, s’occupe de la discipline des troupes, c’est aussi lui qui confère les grades d’officiers ; choisi parmi les généraux le plus en réputation, indifférent à la politique courante, dont il doit se tenir éloigné, il survit aux crises ministérielles. Au contraire, le ministre de la guerre est un membre du cabinet, sujet par conséquent à disparaître devant un vote hostile du parlement ; c’est par