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L’Italie est aujourd’hui tout entière à une crise qui est peut-être plus qu’une crise ministérielle, quoiqu’elle se borne pour le moment à la chute d’un cabinet abandonné par la majorité et à l’avènement d’un cabinet nouveau. Le ministère Minghetti, qui était depuis trois ans au pouvoir, vient de tomber, et il est remplacé par un ministère de la gauche. Lorsque le parlement s’est réuni à Rome, il y a quelques jours, lorsque le roi Victor-Emmanuel a ouvert cette session nouvelle en annonçant que l’Italie allait enfin ton char prochainement à l’équilibre du budget, il y avait déjà des symptômes menaçans. Si le ministère n’avait eu à se défendre que contre la gauche, il n’aurait pas eu de peine à maintenir sa position, à rester maître du terrain ; mais les premières opérations de la chambre élective ne pouvaient guère laisser d’illusion ; elles révélaient, en même temps que la dislocation de l’ancienne majorité, l’existence d’une coalition qui changeait toutes les conditions parlementaires : à l’opposition ordinaire, à la gauche proprement dite, se joignaient des auxiliaires inattendus, les députés toscans avec M. Peruzzi, une fraction du centre avec M. Correnti, un certain nombre de Vénitiens mécontens. C’était plus qu’il n’en fallait pour déplacer la majorité. Les dissidens ne voulaient pas sans doute se séparer du gouvernement sur des questions de politique générale ou d’ordre public, ils ne liaient point précisément partie avec la gauche ; seulement ils ne cachaient pas l’intention de résister désormais au cabinet, ils commençaient les hostilités en se réservant leur liberté d’action. Les causes de cette sécession peuvent être fort diverses. Quelques-uns se sont plaints de la dureté dans la perception de certains impôts. L’accusation la plus grave dirigée contre le ministère était celle de dévier de la ligne libérale, de pousser l’esprit de centralisation à outrance, et les dissidens voyaient surtout un signe de cette tendance, dans la proposition de livrer à l’exploitation de l’état les chemins de fer de la Haute-Italie comme les chemins de fer méridionaux récemment rachetés. C’était là le grand grief, le point délicat entre le ministère et les dissidens comme M. Peruzzi, qui se trouvait en ce moment retenu à Florence par un deuil de famille, par la perte de sa mère, mais dont M. Minghetti n’ignorait pas les dispositions.

Quand les choses en sont là, ce n’est plus qu’une affaire de jours ou d’occasion, et comme il arrive souvent, on n’a pas attendu la question essentielle ; on n’a pas même voulu tenir compte de l’habile et brillant exposé financier fait par M. Minghetti. La scission a éclaté dans une escarmouche à propos d’une interpellation d’un député de la gauche, M. Morana, sur l’impôt de la mouture. M. Minghetti a vainement demandé qu’on suspendît le vote sur cette interpellation, qu’on ajournât la question ministérielle au grand débat sur les chemins de fer ; il n’a point réussi, il a été vaincu dans une échauffourée de scrutin par l’alliance de la gauche et des dissidens. Le ministère Minghetti a disparu ainsi presque obscurément après avoir passé au pouvoir trois années,