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RAYMONDE

PREMIÈRE PARTIE.


I.

La forêt a pour ses familiers de secrètes jouissances qu’ignorera toujours un Parisien, dont les promenades coutumières sont bornées par l’Arc-de-Triomphe et les Tuileries. L’un de ces plaisirs passionnans, mais dont les initiés seuls peuvent déguster l’agreste saveur, c’est la chasse aux champignons. — Par une belle fin d’été, quand l’ondée de la nuit a légèrement mouillé la terre, partir pour les bois fumans de rosée, s’enfoncer sous la futaie que traverse obliquement la vermeille illumination du matin ; là, dans un silence profond, à peine troublé par un gazouillis de mésange ou un grignotement d’écureuil, guetter avec le flair d’un chien truffier et le religieux respect d’un gourmand les nombreuses variétés de bolets et d’agarics éclos pendant une nuit d’août ; — y a-t-il beaucoup de plaisirs plus innocens et aussi vifs ? On y trouve tout ce qui fait le suc et le piquant des joies humaines : les émotions de la chasse, le charme de la possession, les délicates surprises de l’inattendu, l’espoir longuement choyé d’un plat affriolant pour le repas du soir…

C’est à quoi pensait le vieux professeur Noël Heurtevent, un matin de juillet, en parcourant les bois qui séparent le val d’Auberive de la gorge de Vivey. Un panier passé au bras et sa chienne lui frottant les jarrets de son fin museau de renard, il flânait allègrement à travers les terrains mamelonnés de la futaie des Fosses. Le commencement de l’été avait été pluvieux, et sous l’influence d’une humidité chauffée par de rapides pluies d’orage, tout le peuple des