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générale qu’elle, de cette loi de la nature, en vertu de laquelle l’esprit humain fait de continuels progrès, loi dans laquelle toutes les sociétés politiques puisent le droit de modifier et de perfectionner leurs institutions, — loi suprême, qui défend d’enchaîner les générations à venir par aucune disposition, de quelque nature qu’elle soit[1]. » C’est en partant de ce principe que l’école saint-simonienne a cru plus tard pouvoir modifier d’une manière bien autrement profonde le système de la propriété. Ici, il ne s’agit encore que d’une mesure moins grave sans doute et même assez modeste en apparence, et qui cependant touchait en réalité aux fondemens de notre organisation sociale.

Ce qui avait suggéré à Saint-Simon l’idée de la réforme proposée était la comparaison faite par lui entre le rôle des propriétaires fonciers ou agriculteurs, et celui des bailleurs de fonds ou commanditaires dans l’industrie. Saint-Simon montrait combien, dans l’état actuel des choses, ces deux rôles sont différens, et il essayait de prouver qu’ils doivent être identiques. En industrie, les commanditaires ne sont pas en nom dans l’entreprise ; la raison sociale est prise de la maison de commerce. C’est le négociant, c’est le fabricant qui est en titre, soit qu’il opère avec ses propres capitaux ou avec ceux des autres ; il est le principal personnage. En agriculture, il en est tout autrement. Le fermier n’est qu’un subalterne, le propriétaire est son maître. Dans l’industrie, le travailleur peut engager les fonds du commanditaire, il est associé, dans l’industrie agricole, le fermier n’est que locataire. Dans l’une, le bailleur est compromis pour la totalité de ses fonds ; dans l’autre, le propriétaire ne l’est que pour une année de ses revenus. Enfin, si le propriétaire cultive lui-même, il doit la considération dont il jouit non à son rôle de travailleur, mais à celui de propriétaire. Il en est tout différemment dans le commerce. De là vient la supériorité de l’industrie commerciale et manufacturière sur l’industrie agricole. En conséquence, Saint-Simon proposait ce projet de loi : « Les propriétaires fonciers seront à leurs fermiers dans les mêmes rapports que les commanditaires aux commerçans et aux fabricans. » Cette réforme devait s’exécuter de ces deux manières : 1° à chaque commencement et à chaque fin de bail, on dresserait un état de la terre, afin de partager les bénéfices et les pertes, ainsi que cela a lieu en Angleterre ; 2° droit serait reconnu au fermier d’emprunter sur la terre qui lui est fournie, après arbitrage.

Quelle que pût être en elle-même la valeur d’une telle mesure, Saint-Simon, en la proposant, méconnaissait l’une des lois fondamentales de l’économie politique, dont cependant il invoquait les

  1. Œuvres, p. 89.