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sous le masque de la raison d’état. Une fois la reine morte, la suite des faits prouva bien que la haine toute seule avait inspiré George IV. Il ne songea point à se marier et s’accoutuma sans peine à l’idée de voir la couronne de la Grande-Bretagne destinée à la postérité de l’un de ses frères.

Lorsque la reine Caroline succomba, le 7 août 1821, aux terribles émotions de la lutte, la future héritière du trône était déjà née. C’était alors une enfant de deux ans et trois mois. Tout près du tombeau de la princesse Charlotte, l’Angleterre avait salué le berceau de la princesse Victoria ; c’est à peine si un intervalle d’un an et demi avait séparé la mort de l’une et la naissance de l’autre.

Quel était parmi les frères si nombreux du régent celui auquel était échue cette promesse de lignée royale ? C’était le duc de Kent, le cinquième des fils de George III, marié le 11 juillet 1818 à la sœur du prince Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha, veuve du prince de Linange. Le duc de Kent était persuadé que le trône d’Angleterre lui appartiendrait un jour à lui et aux siens. Il disait souvent à Stockmar : « Je me porte mieux que mes frères ; j’ai toujours vécu régulièrement, je leur survivrai à tous. C’est à moi que reviendra le trône, à moi et à mes enfans. » Ces espérances dont il se berçait ne se réalisèrent qu’à demi ; le duc de Kent ne survécut ni au prince de Galles, devenu George IV en 1820, ni au duc de Clarence, devenu Guillaume IV en 1830 ; mais, ses frères aînés, George IV et Guillaume IV, aussi bien que le duc d’York et le duc de Cambridge, étant morts tous sans enfans, ce fut sa fille, la princesse Victoria, qui, en 1837, à la mort de Guillaume, devint reine d’Angleterre. Le bon duc ne se trompait donc pas lorsque, montrant à ses amis la petite fille souriant dans son berceau, il leur disait en son orgueil de père : « Regardez-la, ce sera votre reine. »

Le duc de Kent n’eut pas longtemps, hélas ! à jouir de ces sourires de l’enfant. L’année même où lui était venue cette joie accompagnée de tant d’espérances, il alla s’installer aux bords de la mer, à Sidmouth, pour y passer l’hiver avec sa famille. Un jour, en se promenant sur la plage, il se sentit transpercé par une humidité glaciale. Il s’ensuivit une irritation de poumons qui prit bientôt le caractère le plus grave. Stockmar, qui se partageait entre le prince Léopold et son beau-frère le duc de Kent, se trouvait alors à Sidmouth ; il assista aux derniers momens du duc de Kent, comme il avait assisté à l’agonie de la princesse Charlotte. Le 22 janvier 1820 arriva un vieil ami du duc de Kent, le général Wetherall, apportant le testament de l’auguste malade, préparé à Londres par les soins de son notaire. Le duc était-il en état de s’occuper d’affaires et de donner une signature ? La duchesse conduisit Stockmar auprès de