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Telles étaient les lois sous lesquelles ils pouvaient tomber[1] ; il y en avait assurément bien assez pour les perdre, et l’autorité, si elle voulait les frapper, n’était que trop armée contre eux.. Il faut pourtant reconnaître que ces armes qu’elle avait à sa disposition étaient d’un usage assez rare. La loi de majesté, fort employée par les mauvais empereurs, l’était beaucoup moins sous les bons ; ils n’en gardaient que ce qui était nécessaire pour maintenir la paix publique, et les chrétiens, si éloignés de toute ambition politique, si soumis aux puissances, ne pouvaient pas penser qu’on dût un jour la tourner contre eux. La loi contre les cultes étrangers, qui les menaçait plus directement, leur causait encore moins de frayeur. Sans doute, elle n’était pas officiellement abolie ; mais, comme on ne s’en servait guère, ils ne paraissent pas l’avoir redoutée, jusqu’au jour où elle leur fut appliquée si rudement. Il est sûr que les persécutions les surprirent beaucoup. Ils voyaient autour d’eux tous les cultes tolérés et ne s’attendaient pas à être traités autrement que les autres. Dans leur étonnement douloureux, ils allèrent jusqu’à prétendre qu’ils étaient frappés « en dehors de toute justice et de toute légalité. » Ce n’était pas tout à fait exact, comme on vient de le voir ; l’autorité avait la loi pour elle, mais la loi cesse de paraître juste quand on ne l’applique pas dans tous les cas et à tout le monde. L’impunité dont quelques-uns jouissent semble créer un droit pour tous ; lorsque la légalité ne se réveille que par intervalles, elle ne paraît être à ceux qu’elle atteint qu’un régime de violence et de bon plaisir. Il fallut du temps à l’église pour s’habituer à cette exception cruelle dont elle était victime. Alors elle se ressouvint que le Christ avait prédit ces maux dont elle souffrait ; elle vit l’annonce des persécutions dans ces paroles qu’il adressait à ses disciples : « Vous serez conduits devant les rois et les gouverneurs à cause de moi, pour rendre témoignage en leur présence. » — « Qui n’admirerait, dit Origène, la précision de ces paroles ! Aucun exemple puisé dans l’histoire n’a pu donner à Jésus-Christ l’idée d’une pareille prédiction. Avant lui, aucune doctrine n’avait été persécutée. Seuls, les chrétiens, ainsi que l’a prédit Jésus-Christ, ont été traînés devant des juges, contraints de renoncer à leur foi, et punis par l’esclavage ou la mort, s’ils étaient fidèles à leurs croyances. » C’est ainsi qu’on fit servir les persécutions même et l’annonce que le Christ en avait faite à établir la vérité de sa parole.

  1. On pouvait encore les accuser de magie et de sortilèges, et l’on sait que la loi romaine était impitoyable pour ces sortes de crimes. Sur toutes ces questions, on consultera avec beaucoup de fruit le mémoire de M. E. Le Blant, membre de l’Institut, sur les Bases juridiques des poursuites dirigées contre les martyrs. Ce mémoire a été publié dans les comptes-rendus de l’Académie des Inscriptions de l’année 1866.