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Les deux premières persécutions paraissent donc hors de doute ; ce qui reste obscur, c’est la manière dont l’autorité procéda pour atteindre les victimes. On s’est d’abord demandé s’il est sûr que Néron et Domitien aient publié contre le christianisme des édits de proscription. Les historiens profanes n’en disent rien, mais les écrivains ecclésiastiques sont unanimes pour l’affirmer, et, quoi que prétende M. Aube, tout me semble leur donner raison. Il était aisé de récuser leur témoignage quand on pouvait soutenir que les chrétiens n’avaient pas été d’abord inquiétés en dehors de Rome. Pour les saisir et les frapper dans l’enceinte de la grande ville, il n’était pas besoin à la rigueur d’un décret ou d’une loi, un ordre verbal suffisait ; mais il n’est plus possible aujourd’hui de ne voir dans la persécution de Néron qu’une sorte d’accident passager, une violence temporaire et locale, dont Rome a été l’unique théâtre. Depuis qu’on connaît la date exacte de l’Apocalypse, on sait que le contre-coup s’en est fait sentir ailleurs. Il n’est plus douteux qu’à la suite des supplices ordonnés par Néron dans sa capitale le sang des chrétiens n’ait coulé dans les principales villes de l’Asie, et qui sait s’il n’en a pas été de même dans d’autres provinces ? Dès lors il devient assez naturel de supposer que les magistrats de ces pays lointains ne se décidèrent à frapper que sur quelque édit ou quelque lettre de l’empereur. Les lois, comme on l’a vu, étaient incertaines, mal exécutées, presque tombées en oubli ; pour qu’on sût qu’on devait les appliquer aux chrétiens, et qu’ils étaient seuls exceptés de la tolérance générale, il fallait bien qu’on en fût averti par quelque communication officielle. Nous voyons, à partir de Dèce, quand l’histoire du christianisme nous est mieux connue, chaque persécution précédée d’un édit particulier qui ordonne les poursuites ; pourquoi veut-on qu’il n’en ait pas été de même auparavant ? Enfin nous avons des textes précis de Tertullien, de Lactance, qui nous apprennent qu’avant Dèce des édits avaient été publiés contre les chrétiens, et en grand nombre. Le jurisconsulte Ulpien, qui vivait sous Caracalla, les avait réunis et commentés dans un de ses ouvrages à l’usage des persécuteurs de l’avenir. Nous n’avons pas conservé le passage d’Ulpien, et avec lui s’est perdu le texte de ces édits ; mais nous pouvons conjecturer, d’après ce qu’on nous en rapporte, qu’ils étaient courts et concis, qu’ils ne contenaient pas d’accusation précise, qu’ils ne s’appuyaient sur aucune ancienne loi, qu’ils n’indiquaient pas de procédure régulière, et qu’ils se résumaient à peu près dans ces termes : « il est défendu d’être chrétien. »

Ce n’est pas tout à fait ainsi que s’exprime d’ordinaire le législateur chez les Romains, mais les pères de l’église font remarquer que