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contracter de nouveaux emprunts, ou du moins de contracter des emprunts plus considérables qu’ils ne l’auraient été, si nous avions suivi le système de la modestie et de l’économie. Il fallait par conséquent augmenter les impôts ; mais on ne pouvait augmenter les impôts et obtenir le développement des ressources du pays, si l’on n’entreprenait en même temps sur une large échelle la réforme de notre régime économique… »

Cette réforme économique entreprise pour susciter l’activité et les ressources du pays, elle n’était pas seulement, à vrai dire, une œuvre commerciale et financière ; par la forme diplomatique sous laquelle elle s’accomplissait, elle avait dans l’esprit de Cavour, dans l’ensemble de ses desseins, un autre caractère et un autre rôle. Elle tirait le Piémont de l’isolement où il était resté après son désastre, elle le rapprochait des grandes nations de l’occident, de l’Angleterre, de la France ; elle nouait en un mot une alliance d’intérêts qui pouvait devenir une alliance d’idées et de politique. L’Autriche ne s’y trompait pas : avant de mourir, le prince Schwartzenberg, premier ministre à Vienne, disait avec une mauvaise humeur mal déguisée : « le Piémont veut acheter l’appui de l’Angleterre pour l’Italie avec sa politique commerciale ! » Ce n’était pas absolument vrai, ou du moins Cavour ne sacrifiait rien, et quelquefois il se défendait d’avoir été conduit par une arrière-pensée politique à une réforme qu’il croyait utile à son pays ; en réalité, il se fiait à la logique des choses, il ne doutait pas que le Piémont, demeurant constitutionnel, adoptant la liberté commerciale avec toutes les autres libertés, ne gagnât rapidement les sympathies de l’opinion anglaise et que ce ne fût pour lui une force nouvelle. « L’Angleterre, disait-il dans l’intimité, n’est plus le champion de l’absolutisme sur le continent, et il ne serait pas facile à un ministère anglais de s’allier avec l’Autriche pour l’oppression de l’Italie. »

Quant à la France, Cavour ne cachait certainement pas l’intention de nouer amitié avec elle sous le voile d’un traité de commerce. Si ce traité n’était pas tout ce qu’il aurait voulu, s’il avait été obligé de faire des concessions au système protectionniste français, il en prenait son parti, il voyait ici l’avantage politique encore plus que l’avantage économique. « L’horizon est encore sombre autour de nous, disait-il, et nos institutions ne sont pas à l’abri de tout péril. Il est possible que quelque événement vienne à se produire qui nous fasse désirer l’appui au moins moral de la France… Je le déclare franchement : en présence des faits qui peuvent surgir, je crois qu’il est prudent, conforme aux intérêts du pays, de nous mettre en bons rapports avec la France. Voilà pourquoi nous avons, non pas sacrifié, mais laissé au second plan les considérations économiques. C’est par des vues politiques que nous avons été conduits