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les rétrogrades… Toutefois je ne désespère pas… » Un autre jour, de Leri, où il est allé prendre un instant de repos, il écrit : « Après une lutte acharnée, soutenue dans le parlement, dans les salons, à la cour comme dans la rue, et rendue plus pénible par une foule d’événemens douloureux, je me suis senti à bout de forces intellectuelles et je suis venu me retremper par quelques jours de repos. Grâce à l’élasticité de ma fibre, je serai bientôt en mesure de reprendre le fardeau des affaires ; avant la fin de la semaine, je compte être revenu à mon poste, où m’attendent les difficultés auxquelles donne lieu une position politique chaque jour plus tendue… » C’était une lutte laborieuse, incessante, mêlée de complications intimes et de péripéties où se serait épuisé un chef de cabinet à la fibre moins élastique.

A travers tout cependant, cette politique si contestée ne tardait pas à se « débrouiller, » à se dégager dans ses premiers résultats, et, en peu d’années, elle commençait à porter ses fruits. De toutes parts, le mouvement se dessinait. Déjà La Marmora, avec son énergie persévérante et méthodique, avec l’aide d’un ministre des finances qui ne lui marchandait pas l’argent, avait eu le temps de réorganiser les institutions militaires, de refaire une armée qui ne pouvait être nombreuse, mais qui était en état de porter dignement le drapeau italien. Le nouveau régime économique ne restait pas stérile. L’activité nationale, stimulée par la liberté, se manifestait sous toutes les formes de l’industrie et des entreprises commerciales. Les travaux d’utilité publique, à mesure qu’ils s’achevaient, devenaient un élément de richesse. Au commencement de 1854, on pouvait inaugurer le chemin de fer de Gênes, se frayant un passage à travers l’Apennin jusqu’à ce golfe de la Méditerranée où Cavour était fier d’arriver sur la première locomotive. Peu à peu le Piémont en venait à offrir le spectacle d’un petit pays vivace, prompt à se relever, sachant pratiquer sans trouble toutes les libertés du » régime constitutionnel, et il se faisait rapidement une bonne renommée en Europe, en France comme en Angleterre. Il attirait les regards et les sympathies.

Cavour lui-même grandissait visiblement dans l’opinion. Il intéressait par l’habileté qu’il déployait dans les luttes qu’il avait à soutenir, d’où il sortait toujours plus fort, dominant ses adversaires et ses amis, inspirant autour de lui une confiance croissante. Au milieu de toutes ces affaires, il avait la pensée fixe de la redoutable partie qu’il engageait, dont il ne se dissimulait pas la gravité, et un jour de 1854 il disait dans une lettre tout intime à Mme de Circourt : « Les événemens ont amené le Piémont à prendre une position nette et décidée en Italie. Cette position n’est pas sans dangers, je le sais et je sens tout le poids de la responsabilité que cela